L’indispensable amitié entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso est encore dans une sorte de tourmente qui ne dit pas son nom. Aucun acte concret confirmé ou officiel ne permet en effet de le dire, mais le coup de froid dans les relations naturelles et séculaires ivoiro-burkinabè est de fait visible depuis le coup d’Etat militaire perpétré par le Général Gilbert Diendéré le 16 septembre dernier.
Grâce à la résistance menée par l’ensemble des forces vives de la société burkinabè, le putsch a été désavoué. Ses auteurs sont aujourd’hui mis en déroute. Toutefois, dans les problèmes qui restent à résoudre, il faudra veiller à ce que tout ce qui se raconte, de façon négative, sur le voisin ivoirien ne soit pas la source d’une brouille entre les deux pays dans les jours à venir.
Depuis le putsch du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), beaucoup de choses sont dites en défaveur de la Côte d’Ivoire.
Les soupçons portant sur un éventuel rôle négatif de la Côte d’Ivoire dans le putsch ou, du moins, son silence complice sont persistants. Sur les réseaux sociaux, qui ont fortement servi dans la résistance des Burkinabè face au coup d’Etat de Diendéré, l’opinion juge sévèrement l’attitude «de non prise de position claire» adoptée par Abidjan. Pour de nombreux Burkinabè, la déclaration officielle des autorités ivoiriennes selon laquelle «elles ne se mêlent pas de la situation interne du Burkina» est en réalité un soutien ou une complicité inavouée pour les putschistes.
Pour apporter de l’eau au moulin de ceux qui partagent une telle opinion, des médias ivoiriens évoquent des rencontres que les auteurs du putsch auraient eues avec des ex-combattants de la rébellion ivoirienne lors de leurs récents séjours à Abidjan. Des informations difficiles à vérifier. Dans une déclaration faite le 23 septembre dernier, la secrétaire générale et porte-parole du Front populaire ivoirien (FPI), parti dirigé par Pascal Affi N’Guessan, a pratiquement mis en cause les autorités de son pays dans des propos assez évocateurs: «Le Fpi s’oppose à une déstabilisation du Burkina Faso à partir de la Côte d’Ivoire», titre le communiqué de ce parti, qui est l’un des principaux opposants au régime de Alassane Ouattara.
Parmi les éléments contenus dans la position du FPI sur le putsch au Burkina, le parti «refuse que la Côte d’Ivoire serve de base arrière à une quelconque déstabilisation du Burkina Faso». Des termes on ne peut plus clairs qui laissent penser qu’il y aurait des manœuvres de déstabilisation du Burkina depuis la Côte d’Ivoire où s’est refugié l’ancien président Blaise Compaoré après sa chute en fin octobre 2014.
La méfiance des Burkinabè vis-à-vis d’Abidjan s’est encore renforcée avec le communiqué, très inquiétant, du gouvernement le 28 septembre 2015 à propos du désarmement du RSP.
En informant l’opinion que les ex-putschistes se sont opposés à partir du 27 septembre à la poursuite du désarmement, il y a eu cette phrase qui a choqué plus d’un Burkinabè:«Mais plus grave encore, le gouvernement a connaissance de la mobilisation de forces étrangères et de groupes djihadistes qu’ils (ndlr: les ex-RSP) ont appelé à leur secours dans la réalisation de leur funeste dessein», indique le communiqué du gouvernement qui accuse quelques irréductibles de vouloir imposer leur volonté aux institutions nationales.
Et voilà les supputations, les soupçons et les accusations repartis de plus belle. En effet, si chacun pouvait aisément imaginer d’où pouvaient venir ces «djihadistes» évoqués dans le communiqué, la question «des forces étrangères» était sujette à polémiques. C’est ainsi que certains n’ont pas hésité à soupçonner les ex-rebelles ivoiriens. A tort ou à raison, la Commission d’enquête mise en place par le gouvernement sur le putsch nous renseignera peut-être.
Dans tous les cas, ils sont rares les Burkinabè qui font confiance aujourd’hui à Abidjan, depuis le putsch du 16 septembre. De façon officielle, le gouvernement de transition n’a pas encore directement émis un avis sur l’attitude de la Côte d’Ivoire, mais on voit mal comment les dossiers de coopération pourraient ne pas subir les contrecoups de la situation. En dehors même de la période de transition, le prochain président élu du Burkina pourrait être mal à l’aise avec le voisin ivoirien. Beaucoup de leaders politiques de l’ex-opposition cachent mal leur colère sur l’attitude de la Côte d’Ivoire. Ils attendaient «au moins une condamnation de principe» du putsch au Burkina.
En faisant une sorte de décompte des pays qui sont directement venus au secours du Burkina pendant cette période, Simon Compaoré, l’un des leaders du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), a fait savoir que «désormais le Burkina connait qui sont ses amis».
Presque la même position est affichée par Bénéwendé Sankara de l’UNIR/PS et Saran Sérémé du PDC, qui pensent que la Côte d’Ivoire n’a aucun intérêt à voir le Burkina déstabilisé.
Voilà une situation de suspicion qui appelle à la clarification pour sauver le très important mariage de raison entre la Côte d’Ivoire et le Burkina, notamment le Traité d’amitié et de coopération (TAC) signé depuis 2009.
Karim GADIAGA
Eviter l’escalade
Au regard de l’importance des relations d’amitié et de coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, il serait convenable que les deux pays entreprennent rapidement des démarches pour lever toute suspicion et relancer les dossiers de la coopération bilatérale. Les relations sont notamment naturelles, géographiques, culturelles et économiques. A ce stade, il faut éviter à tout prix que les choses prennent de nouvelles proportions et s’enveniment. La Côte d’Ivoire a besoin du soutien stratégique d’un Burkina stable, et en retour le Burkina a besoin de s’appuyer sur son voisin pour de nombreuses activités et projets économiques. Une situation de méfiance et de rupture de collaboration comme celle qui avait existé pendant la période de la rébellion ivoirienne doit être évitée.o