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Suspension du PPP de Tambao : «Toute raison invoquée n’est qu’arbitraire et illégale»

Après la suspension, mi-janvier 2015, de l’exportation du manganèse de Tambao, c’est désormais l’accord-cadre de Partenariat public-privé (PPP) sur le projet qui a été suspendu par le ministre des Mines le 22 juin dernier. Au niveau des premiers responsables de Pan African Minerals (PAM), on se dit surpris par cette attitude du gouvernement, qui a déjà créé d’énormes préjudices à la société et aux travailleurs. Dans cette interview, Souleymane Mihin, directeur général de PAM Burkina, dénonce le jeu trouble du gouvernement.

– L’Economiste du Faso : Le non-respect des obligations relatives aux infrastructures (chemin de fer et bitumage de la route Dori –Tambao) a été invoqué pour suspendre l’accord-cadre de PPP sur Tambao. Qu’est-ce qui bloque la réalisation de ces infrastructures ? A qui la faute ?
Souleymane Mihin, directeur général de PAM Burkina : Le ministre a simplement lié la tentative illégale du gouvernement de la transition de suspendre le PPP au retard dans la réhabilitation de la ligne ferroviaire Abidjan-Kaya dans sa lettre, c’est tout. Voyez-vous, dans le PPP, la réhabilitation de la ligne ferroviaire Abidjan–Kaya n’incombe pas à Pan African. Dans l’accord de juillet 2014 entre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, Bolloré et PAM, le Burkina Faso a, avec la Côte d’Ivoire, opté de confier la réhabilitation et l’exploitation de la ligne Abidjan–Kaya au groupe Bolloré. PAM n’est qu’un client privilégié, avec une garantie de pouvoir transporter jusqu’à 3 millions de tonnes par an. Par conséquent, la réhabilitation et l’exploitation de la ligne Abidjan–Kaya ne relèvent pas de Pan African. L’incapacité du gouvernement (ou de Bolloré) à réhabiliter la ligne ferroviaire, en vertu de l’article 22, n’est certainement pas une raison pour suspendre l’accord de PPP. En effet, en droit international, une partie ne peut pas unilatéralement «suspendre» un contrat parce qu’elle est dans l’incapacité d’exécuter les obligations qui sont les siennes.

– L’ancienne ligne de chemin de fer à réhabiliter entre Abidjan et Kaya fait l’objet d’une concession par les Etats burkinabè et ivoirien au groupe Bolloré. Pourquoi le ministre ajoute-t-il ce projet de réhabilitation aux griefs qui sont formulés à votre endroit ?
Nous n’avons aucune idée de la rasoin pour laquelle le gouvernement de la transition a utilisé ce point comme motif ; cela n’a absolument aucun sens.
Mais comme nous l’avons mentionné plus haut, il est évident que la réhabilitation et l’exploitation de la ligne ferroviaire Abidjan-Kaya ont été confiées au groupe Bolloré dans l’accord de juillet 2014 (une copie est accessible au public). PAM n’est qu’un client privilégié sur cette ligne. Le problème ne vient pas de PAM et donc toute raison invoquée pour suspendre le PPP n’est qu’arbitraire et illégale. Nous continuons de considérer le PPP comme un document valide et ayant force obligatoire. Convenons que le gouvernement de la transition n’a donné aucune raison légitime pour suspendre le PPP.
– En principe, c’est la nouvelle ligne de chemin de fer à construire entre Kaya et Tambao qui concerne votre société. Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui le démarrage des travaux?
Le chronogramme de sa réalisation n’est pas encore disponible et nous attendons qu’il nous soit communiqué. Et s’il venait à nous être fourni, comme clairement indiqué en deux endroits dans le PPP, nous avons trois ans à compter de l’octroi du permis d’exploitation (articles 3 et 22) pour réaliser les travaux routiers et les infrastructures ferroviaires de Kaya à Tambao.
En février 2015, le ministre des Infrastructures nous a adressé un projet de convention relatif à la construction du chemin de fer Kaya-Tambao. C’est après que nous avons reçu la première suspension. Aucun chronogramme ne figure dans ce projet de convention qui, je crois, n’est pas encore finalisé ou qui ne nous a pas encore été transmis.

– Pour le bitumage de la route Dori – Gorom-Gorom, PAM disait attendre les études techniques à réaliser par le gouvernement burkinabè. Que se passe-t-il à ce niveau?
Nous avons trois ans à compter de l’octroi du permis d’exploitation pour achever la réalisation des infrastructures du projet intégré de Tambao.
Pour notre obligation contractuelle contenue dans le PPP, elle se résume à mettre à la disposition de l’Etat les fonds nécessaires à la construction de la route après avoir reçu une étude de faisabilité qu’il devait produire. A cette date, cette étude n’est toujours pas disponible. La Direction générale des routes du ministère des Infrastructures serait à pied d’œuvre pour cela et nous attendons de recevoir ladite étude. Les préalables (études techniques et environnementales) requis pour le bitumage de toute route restent donc attendus et dès que nous recevrons ceux-ci, nous les ferons expertiser et nous nous exécuterons en mettant les fonds à la disposition de l’Etat.
En marge de cela, nous avons entrepris certains travaux routiers en vue de rendre l’axe Dori – Gorom-Gorom – Tambao plus praticable. En effet, nous avons construit 3 voies de contournement de 6 km chacune (soit au total 18 km) à Markoye, Gorom-Gorom et Salmossi. Nous avons aussi entrepris la réalisation d’ouvrages d’art et l’amélioration du drainage. Nous signalons au passage que ces travaux sont non contractuels et viennent en plus de nos engagements pris dans le PPP.
Malheureusement, ceux-ci ont été interrompus du fait de la suspension des exportations et de l’exploitation par le gouvernement de la transition.

– Le groupe Bolloré sera votre partenaire sur le chemin de fer. Quelle est la nature de vos rapports?
Nous avons eu maintes réunions productives avec le groupe Bolloré. Nous avons d’excellentes relations avec Bolloré et les discussions ont été commerciales. Les discussions importantes concernant la réhabilitation et l’exploitation de la ligne ferroviaire Abidjan-Kaya sont menées entre les Etats de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso et le groupe Bolloré.
Pour l’ensemble, je vous demanderais de bien vouloir demander à Bolloré ce qu’il en ait de ces discussions et d’ouvrir vos colonnes à l’Etat burkinabè.

– Avez-vous l’impression aujourd’hui que le gouvernement veut vous déposséder du permis de Tambao?
Nous ne pouvons pas affirmer cela. Le gouvernement de la transition n’a donné aucune raison valable et claire de ses actions, en violation de ses engagements contractuels, pendant que Pan African a fait tout ce qu’on lui demande, y compris la renégociation en toute bonne foi d’un accord additionnel au PPP. Il n’y a aucune raison claire pour laquelle il n’a pas levé ces suspensions illégales afin de nous permettre de reprendre les opérations. Y a-t-il d’autres choses que le gouvernement veut ? Nous ne saurons le dire.

– Il se raconte que Bolloré n’exclut pas aujourd’hui de faire de l’exploitation minière. Le soupçonnez-vous d’être éventuellement le bénéficiaire de la licence?
Pas du tout. Bolloré n’a pas intérêt à ce que le permis d’exploitation nous soit retiré. Bolloré comprend la force de notre position légale. Nous comptons exporter 3 millions de tonnes de manganèse de Tambao sur la ligne ferroviaire Abidjan-Kaya (qu’il exploite) lorsque la mine sera en pleine production. Ceci est à l’avantage commercial de Bolloré; et bien entendu des Etats de Côte d’Ivoire et du Burkina qui sont tous deux actionnaires de Sitarail. Cela multiplierait par 5 ou 6 le volume du trafic actuel. Pourquoi Bolloré voudrait-il se priver de ce revenu de l’exploitation du rail ? En plus, le groupe Bolloré est dans la logistique, il n’est pas une société d’exploitation minière. Nous sommes fermement engagés à travailler avec Bolloré et les deux gouvernements pour poursuivre les discussions qui devront permettre à Bolloré de progresser dans ses travaux de réhabilitation. Mais nous ne pouvons pas le faire pendant que nos opérations sont suspendues.

– Frank Timis, le président de votre groupe, a déjà annoncé qu’en cas de retrait du permis, la compensation financière sera de 120 millions de dollars. Est-ce que l’éventualité du retrait est très forte ?
Non! Nous pensons fermement que l’appel d’offres a été remporté de façon juste et transparente, et que tous les permis octroyés l’ont été sur une base légale, donc sont bien valides. Pan African a suivi chaque étape légale exigée en vertu du droit international et celui du Burkina Faso, et nous sommes confiants que toutes les autorisations et permis demeurent légalement valides et ne peuvent être retirés en vertu du droit. Pan African est engagé avec le Burkina Faso pour le long terme.
Nous comptons être ici pour soutenir le pays pendant les 30 prochaines années (la durée de vie du gisement) et bien plus longtemps car nous avons 2 autres permis avec un potentiel certain.
Notre permis d’exploitation nous a été octroyé en mai 2014 et les exportations ont été suspendues en janvier 2015. Au total, il s’est écoulé seulement 7 mois sur les 36 mois dont nous disposons en vertu du PPP pour achever tous les aspects du projet Tambao. Le projet a été actuellement retardé de 8 mois et a perdu 100 millions de dollars de revenus.
Signalons que 120 millions de dollars, c’est le montant qui a été investi dans le projet Tambao jusqu’ici. En outre, toute réclamation légale est susceptible d’être calculée sur la base de la valeur de l’actif (le gisement de 107 millions de tonnes).

– Il y avait pourtant des négociations ouvertes entre votre société et l’Etat en vue d’un accord additionnel au PPP. Pourquoi cette suspension brusque?
Nous pensions que nous avions été d’accord sur tous les points importants dans l’accord additionnel produit avec le gouvernement, et nous étions prêts à signer le document.
Notre président a passé deux semaines au Burkina à négocier et à convenir de l’accord additionnel avec un comité interministériel. Nous ne saurions donner la raison pour laquelle l’Etat a choisi de ne pas signer. Ce que nous pouvons dire, c’est que nous avons été extrêmement déçus de cet état de fait et grande est notre déception de voir que le gouvernement de la transition continue de retarder l’exploitation du projet, entraînant d’importantes pertes de revenus pour Burkina Faso, au détriment de son peuple.

– Des positions inconciliables sont-elles apparues sur certains points lors des récentes négociations?
Pas du tout. Nous pensons que nous avons été d’accord sur toutes les questions avec le comité interministériel, il y a plus de 3 mois (cf. PV du 6 février 2015), et que toutes les parties étaient prêtes à avancer. Simplement, nous ne pouvons pas comprendre la raison légitime de cette série de suspensions dont les conséquences sont dramatiques à tout point de vue. Nous avons dû résilier plus de 30 contrats avec des entreprises burkinabè, approximativement 2.000 à 2.500 emplois directs et indirects de Burkinabè qui avaient été créés ont été perdus, et ce retard a entrainé d’importantes pertes fiscales pour le budget de l’Etat. Tout cela, de manière complètement inutile.
Nous avons essayé de protéger autant d’emplois que nous pouvons. Toutefois, 95% des expatriés (en charge de la formation des nationaux) ont été licenciés ; les travailleurs nationaux restants sont en «chômage technique» (avec perception de 50% du salaire), et dont les emplois ne sont préservés que jusqu’au 14 octobre 2015. Cela a été très difficile pour Pan African, fonctionnant sans revenus des exploitations et avec une grande déception des banques internationales qui avaient contribué au financement du projet.

Entretien réalisé par Karim GADIAGA


 

Tambao pourra-t-il survivre aux conséquences  d’une nouvelle résiliation de contrat ?

L’inquiétude est tout à fait exacte. Si le permis venait à être retiré, il sera extrêmement difficile d’attirer un investisseur étranger qui veuille dépenser 400 millions de dollars pour la réalisation d’infrastructures sur ce grand projet dont tout le Burkina peut bénéficier. Un tel acte serait considéré comme un manque total de cohérence et surtout de stabilité dans les prises de décision dans le pays par un gouvernement. La stabilité, sur les plans économique et politique, constitue des facteurs clés pour tout investisseur étranger. Son absence tue les investissements étrangers importants, et ce cas-ci met en danger les investissements étrangers non seulement au Burkina Faso mais aussi dans les pays de la Cedeao.
Par ailleurs, nous avons mis plus de 12 mois à préparer les marchés internationaux et les acheteurs à recevoir le manganèse de Tambao, pendant que les prix chutaient sur les marchés internationaux des minéraux. La garantie de la continuité des approvisionnements est un facteur important pour les acheteurs finaux.

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