«Nous n’avons pas d’armée, mais des groupes de soldats», dixit, Ismaël A. DialloL’actualité politique nationale est secouée par les relations tendues entre le Premier ministre Yacouba Isaac Zida et le Régiment de sécurité présidentielle.
Afin de mieux décortiquer cette crise qui s’étend un peu plus chaque jour, L’Economiste du Faso a reçu pour son Club un diplomate à la retraite, Ismaël Diallo. Porte-parole du Front de renforcement de la citoyenneté, ancien Front de résistance citoyenne. M. Diallo n’a pas sa langue dans la poche. De la probable démission du Pm à la retraite du l’ancien président Blaise Compaoré à Abidjan, en passant par la désunion au sein de l’armée burkinabè, le révolutionnaire donne son point de vue, sans détour.
– L’Economiste du Faso : Comment expliquez-vous votre passage du Front de résistance au Front de renforcement de la citoyenneté ?
Ismaël A. Diallo, porte-parole du Front de renforcement de la citoyenneté: Par ces temps qui courent, je me demande si on ne va pas retourner à la résistance. En novembre (ndlr, 2014), nous avons estimé que la résistance avait porté fruit puisque la bataille contre la corruption de l’article 37 n’était plus à l’ordre du jour. Il fallait passer au renforcement de la citoyenneté. Il y a vraiment un gros déficit de citoyenneté à tous les niveaux. Autant la citoyenneté est à l’ordre du jour, autant la résistance l’est également avec tous ces soubresauts que nous avons presque tous les jours.
– Faites-vous référence à la crise entre le Premier ministre Zida et le Rsp ? Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Le souhait est que les principaux acteurs sachent raison garder et ne perdent pas de vue le plus important, sinon l’essentiel qui est le Faso. L’essentiel n’est personne d’autre et rien d’autre. Malheureusement, très peu d’acteurs pensent véritablement au Faso. Il faut savoir taire les ambitions personnelles, les inimitiés ou les haines personnelles. Il faut savoir se départir des querelles qui n’ont aucun sens. Si chacun de nous se rappelle qu’on est éphémère et qu’il y a de grands hommes que l’histoire a oubliés, on comprendrait que l’essentiel, c’est ce qui est pérenne. Ce qui pérenne, c’est le pays.
– Le Premier ministre doit-il partir s’il est désavoué ? On appelle même le président Kafando à prendre ses responsabilités…
Je ne connais pas Zida personnellement. Je connais un peu le président Kafanfo. Je n’ai donc pas de parti pris. Je pose la question de savoir si le Premier ministre est un problème. Constitue-t-il un problème parce que c’est lui ou l’est-il en fonction d’autres choses ? S’il constitue un problème en tant que personne, il faudra qu’on argumente et le déclare inapte. S’il est un problème par rapport à ses relations avec le président ou avec le Rsp, il faudra entendre tout le monde et venir à une explication la plus objective possible afin d’en tirer les conclusions. Se focaliser sur le Premier ministre ou sur le Rsp, c’est une manière partielle et partiale de voir les choses. L’important est d’être le plus objectif possible.
– Après le voyage abidjanais de Zida et suite à ses propos, à l’accueil que les Osc lui ont réservé, notre confrère, Newton Ahmed Barry, semble dire qu’il s’adressait au président Kafando comme pour dire que même s’il a envie de le débarquer, il ne peut pas au regard de la Charte. Est-ce votre perception après avoir écouté Zida ?
J’ai effectivement écouté la chronique de Newton Ahmed Barry. A vous dire vrai, je n’avais pas pensé à sa façon de voir les choses. J’ai aussi entendu une partie de ce que le Premier ministre a dit. Je n’avais pas perçu que ses propos étaient adressés au président. Je pensais qu’il s’adressait aux éléments du Rsp que l’on dit s’être agités contre lui.
Mais quand j’ai entendu Newton Ahmed Barry, ça m’a donné à penser. Je me demande si ce qu’il a dit n’est pas vrai. Je me demande vraiment si les propos du Premier ministre n’étaient pas effectivement dirigés vers le chef de l’Etat. J’ai parlé à un des signataires de la Charte dimanche dernier (ndlr, le 5 juillet) qui dit avoir rencontré le président Kafando vendredi ou samedi (le 3 ou le 4 juillet). Il m’a dit que dans la discussion, il a perçu que le président du Faso semblait être prêt à signer un décret pour renvoyer le Gouvernement. Personnellement, je ne donnerai pas au chef de l’Etat le pouvoir discrétionnaire de renvoyer le Gouvernement.
– A cause de la Charte ?
A cause de la Charte et à cause de l’esprit de la Charte. Qu’il le fasse avec l’accord de tous les autres signataires de la Charte, c’est autre chose. En plus, s’il faut renvoyer le Premier ministre, cela veut dire qu’il le fait sur injonction de certains éléments du Rsp.
– On parle d’éléments incontrôlés.
Ce n’est plus une armée s’il y a des éléments incontrôlés dans un corps en uniforme, avec des armes de guerre.
On n’a pas d’armée. On ne veut pas entendre cela : on n’a pas d’armée, mais des groupes de soldats. On se plait à dire que le Rsp est un corps d’élite. Un corps d’élite avec des individus qui prennent des armes et qui vont menacer des journalistes sans arme ? Est-ce vraiment un corps d’élite ?
Apparemment, on ne leur a appris qu’à tirer. On ne leur a pas appris que porter un uniforme confère une très lourde responsabilité. On ne leur a pas appris que l’abc d’un commando est de vaincre sans nécessairement tuer. Le commando ne tue que quand il n’a pas d’autre option. Il n’y a rien de plus dégradant et honteux pour un soldat que de porter son uniforme et de prendre son arme de guerre pour aller menacer des civils. L’individu qui fait ça doit être déshabillé sur le champ parce qu’il ne mérite pas de porter l’uniforme et d’avoir une arme de guerre.
– Le chef d’état-major général des Armées est interpellé alors…
Que peut-il faire ? Les militaires se sont habitués à être au pouvoir depuis 1966.
C’est pourquoi, il y a des circonstances atténuantes quand on voit ces officiers qui veulent être présidents. Comme on le dit, «ils sont nés trouver». Il nous faut créer et recréer une nouvelle mentalité auprès des militaires pour qu’ils comprennent que leur intrusion dans la vie politique doit s’arrêter. Mais ne nous faisons pas d’illusion, cela va encore prendre du temps.
Mais ils ne sont pas les seuls coupables. Qui a incité les militaires à venir au pouvoir après l’insurrection ? Ce sont les civils.
– Les Osc et les partis politiques.
Non, certaines Osc et des partis politiques. C’est la faute à tout le monde. Si ça ne dépendait que de moi, cette insurrection allait déboucher sur une révolution.
– La différence ?
La différence entre insurrection et révolution est énorme. Une insurrection est presqu’une saute d’humeur, mais une révolution, c’est déraciner quelque chose.
– Depuis l’insurrection, on sentait un coup de froid entre Abidjan et Ouagadougou. Le Premier ministre Zida, après plusieurs rencontres avec le président ivoirien à l’occasion de rencontres régionales, vient de rentrer d’Abidjan. Le président Kafando est annoncé au bord de la Lagune Ebrié en fin juillet. Joue-t-on la carte de la realpolitik ?
Au nom du Frc, en compagnie de la porte-parole adjointe, j’ai déposé à l’ambassade de Côte d’Ivoire au Burkina une déclaration. Dans cette déclaration, le Frc s’insurgeait contre les propos de Alassane Ouattara à son retour du sommet d’Accra. Se référant à ce qu’ils appellent «exclusion», il avait dit que «ce ne sera pas acceptable». Nous nous sommes fermement opposés à sa façon de comprendre la loi sur le Code électoral. Les relations entre deux pays sont de trois genres. Il y a les relations imposées par la nature (le voisinage), celles façonnées par l’histoire et il y a les rapports entre leaders politiques. Quelle que soit la situation, ces pays sont faits pour être ensemble. Ces leaders doivent contribuer à ne jamais détériorer les rapports.
Depuis l’insurrection, les propos du président ivoirien ne sont pas pour consolider nos rapports. S’il a une dette envers l’ancien président (ndlr, Blaise Compaoré), qu’il trouve des méthodes pour payer sa dette. Ce n’est pas en s’ingérant dans les affaires du Burkina qu’il doit le faire. Nous lui dénions ce droit de le faire. Il y a beaucoup de choses incongrues dans nos rapports. Citez-moi des cas où il y a eu une insurrection où on a simplement chassé un président, et ce président libre va s’installer dans un pays voisin, libre de tous ses mouvements? Je suis diplomate de carrière, mais je ne connais pas de cas similaire où un président chassé va dans un pays voisin et a la liberté de s’immiscer dans les affaires politiques de son pays d’origine avec l’assentiment, même tacite, de son hôte. Et personne ne s’en émeut : ni au Burkina, ni à la Cedeao, ni à l’Union africaine ni aux Nations-unies.
Pour la deuxième fois, il y a eu un rendez-vous manqué le 9 juillet dernier avec le président Kafando. Il devait s’adresser à la nation ce jour-là à 20h, mais finalement, c’est un communiqué du cadre de concertation des sages qui est venu tard dans la nuit. Quel est votre commentaire ?
Ce rendez-vous manqué prouve, si besoin en était, la complexité et la difficulté de la tâche. Mais en un mot comme en mille, le nœud du problème n’est-il pas d’accepter de capituler devant les exigences du Rsp ou refuser de mettre le pays sous la coupe du Rsp ? Parmi les 5 recommandations faites par le cadre de concertation des sages et contenu dans le communiqué dont vous parlez, il n’y en a qu’une qui soit nouvelle, celle en rapport avec le Rsp et qui propose de «garder le statu quo et de rechercher une solution définitive avec l’avènement de la normalité républicaine»; les 4 autres sont des lieux communs, des choses sues de tout le monde. S’il faut laisser le Rsp en l’état, il ne faudrait pas s’étonner que dans quelques jours il exige que la loi sur le Code électoral soit annulée. Le chef de l’Etat va-t-il capituler devant l’exigence de la force brutale ? Nous sommes, aujourd’hui, devant un cas flagrant de menace de l’utilisation de la force brutale. Le président Kafando a le choix de capituler devant les exigences du Rsp et d’être à son service ou de tenir tête et de dire à la hiérarchie militaire de rétablir l’ordre et la discipline au sein de l’armée. Il a une chance unique de rentrer dans l’histoire du Faso comme un homme intègre, debout; de prouver le «Burkindi». Un petit groupe veut imposer son desiderata, ses humeurs au Faso tout entier. Face à cela, il faut tenir tête quel que soit le prix et le coût. Au bout du chemin, c’est le Rsp lui-même et la hiérarchie militaire qui se font un grand tort.
– Les investitures des différents candidats à la prochaine élection présidentielle se succèdent. Quelle lecture faites-vous des forces en présence ?
J’admire ceux qui créent des partis politiques dans l’objectif de conquérir le pouvoir d’Etat. Ce que j’admire, ce n’est pas leur courage, mais leur naïveté. Ils ne connaissent pas le pouvoir. Même un Prince, depuis son jeune âge qui s’exerce à assumer le pouvoir un jour, réalisera, un jour après avoir pris ce pouvoir, qu’il ne connaît pas le pouvoir. On n’est jamais prêt à exercer le pouvoir de la manière la plus efficiente. On ne peut pas ne pas décevoir chemin faisant.
– Qu’est-ce qui va trancher en octobre prochain. Va-t-on élire une personne ou un programme ?
J’ai fini par désespérer de la démocratie. J’étais révolutionnaire à 15 ans, je le suis toujours à 70 ans. C’est désespérant, car je ne devrais pas rester révolutionnaire à cet âge. Je désespère de la démocratie parce que dans beaucoup de pays, le choix du candidat se résume à l’ethnie, à la région et à la religion, à la puissance d’argent. Je plains celui qui va être président en octobre prochain. Il n’aura même pas 60 jours de période de grâce.
– Là, il ne va pas rebeloter…
Il n’y a rien de pire que le pouvoir. Les Chinois disent que le pouvoir, c’est comme un tigre. Quand vous le chevauchez, vous devez être alerte et prévoyant. Il y a peut-être une personne sur mille qui a su refuser d’être domptée par le pouvoir. Dix fois sur dix, le pouvoir dompte dans les aspects négatifs : on commence à se croire différent des autres.
– Vous semblez avoir été très proche de Thomas Sankara. Avez-vous foi que vérité et justice seront faites sur son assassinat ?
Avait-on vraiment besoin d’exhumer son corps ? Il fallait juste poser la question à deux personnes.
– Lesquelles ?
Vous connaissez la réponse (rires)
Propos retranscrits par Alexandre Le Grand ROUAMBA
Qui est Ismaël Diallo ?
Ismaël Diallo est un diplomate burkinabè à la retraite. Après avoir servi en Haïti comme porte-parole des Nations-unies pour les élections, au Rwanda, au Liberia, en Sierra Leone , en République Centrafricaine et au Burundi (dernier poste de 2004 à 2008) comme représentant du Haut-commissariat des Nations-unies aux droits de l’Homme , il est rentré dans son Faso natal pour continuer à le servir à sa manière. Du haut de ses 70 ans, il est toujours révolutionnaire dans l’âme. Acteur de la société civile, il est le porte-parole du Front de renforcement de la citoyenneté (Frc).