En marge de sa visite à Paris qui s’est déroulée du 1er au 6 juin dernier, le président du Faso, Michel Kafando, a rencontré ses compatriotes de France, le 3 juin, dans l’enceinte de l’ambassade. Une fois installé, une fillette apporte du «zoom kom» au président Kafando en signe de bienvenue. Ensuite, d’une seule voix, le dytaniè, l’hymne national, retentit dans l’enceinte de l’ambassade. Cette expression d’appartenance à une même nation fait place aux échanges.
Le président Kafando plante le décor : «Lorsque nous sommes arrivés aux affaires, nous avons trouvé un pays déjà déstructuré au point de vue des organes politiques». Aux Burkinabè de France, Michel Kafando a confié : «Nous nous sommes attaqués à la question économique. Nous avons trouvé les caisses vides. Le budget qui avait été arrêté par le Gouvernement accusait un déficit de près de 300 milliards de FCFA, mais l’essentiel était de trouver les fonds nécessaires pour pouvoir payer les salaires des fonctionnaires. Franchement, j’ai eu la plus grande appréhension de ma vie. C’est bien de diriger une Transition, mais si vous ne pouvez pas payer les fonctionnaires, votre Transition ne vaut rien».
Le président est ferme : «La société burkinabè est déchirée». Il fonde cette conviction sur les assassinats, les mises à la retraite anticipée, les licenciements, les disparitions … Il faut donc exorciser tout cela. C’est pourquoi, il a rappelé aux Burkinabè de France le bien-fondé de la mise en place de la Commission de réconciliation nationale et des réformes.
Le président Kafando dit avoir la certitude que si on n’arrive pas à une vraie réconciliation nationale, «si on n’évacue pas tous les contentieux que nous avons connus, si on n’exorcise pas notre société, on aura beau faire des élections, nous risquons d’aller à l’éternel recommencement».
C’est fort de cela que le doyen des Burkinabè de France, Frédéric Guirma, a suggéré : «Peut-il se susciter un mouvement au Burkina qui réclame la prolongation de la Transition pour 6 mois encore?» La salle réagit vivement pour opposer son niet.
Frédéric Guirma semble s’emporter en scandant : «Laissez-moi parler ! On est en démocratie, non?». La salle lui permet de poursuivre : «Il faut être lucide : cette Transition devrait encore avoir 6 mois pour parfaire son travail. Ceux qui disent non verront que l’avenir tranchera», conclut-il. Michel Kafando, en reprenant la parole, répond à Frédéric Guirma : «Je comprends le bien-fondé de ce qu’il vient de dire. Ce qu’il a dit n’est pas faux. Le vrai changement aurait au moins consisté à changer de République. Il aurait fallu aller à une 5e République pour marquer véritablement la rupture. Mais, croyez-moi, la chance que nous avons eue dans le cadre de cette Transition est telle que, personnellement, je suis pressé de partir. La Transition reste ferme sur le 11 octobre». Rires et applaudissements dans la salle.
Les Burkinabè de France ont soulevé les problèmes de justice sociale, du Code électoral, du Rsp, des arrestations. C’est donc naturellement que le mot «exclusion» est revenu sur la table par le biais d’une compatriote.
Elle craint que l’exclusion qui se fait sur la base d’une loi ne soit un précédent. Michel Kafando dira à cette dernière : «Le premier exclu, c’est bien moi» (ndlr, la Charte lui interdit de se présenter à un poste électif). Et de demander à ladite dame : «Est-ce que je m’en plains?». Et un compatriote au fond de la salle d’ajouter : «Nous, les Burkinabè de l’étranger, sommes aussi des exclus, mais nous pensons que c’est pour le bien du pays». Michel Kafando de renchérir : «Tous ceux –là qui ont pris la parole de façon ostentatoire auront à répondre. Si vous n’avez rien dit, le Conseil constitutionnel n’aura pas de raison de vous barrer la voie». Au sujet des Burkinabè de l’étranger qui ne voteront pas, Michel Kafando a été plus explicite sur les raisons qui ont conduit à cela. Outre le budget qui allait passer de 56 milliards à 75 milliards de F CFA, si on devait inclure ces compatriotes de l’étranger dans les votes, il y a la raison principale qui est liée à la situation en Côte d’Ivoire où réside le plus grand nombre de Burkinabè de la diaspora.
Le président du Faso dit avoir les preuves que des choses s’y organisaient pour troubler les élections et fausser les résultats. Il a confié que le contrat que le Burkina avait passé avec l’ancien ministre ivoirien, M. Bictogo, pour confectionner les cartes consulaires restait introuvable. Pour ne donc pas «fausser» les résultats des votes, Michel Kafando a demandé à la diaspora d’attendre 2020, date de certitude selon lui. Et d’ajouter : «Au regard de l’importance de cette diaspora, nous proposerons aux futurs dirigeants la création d’un ministère en charge des Burkinabè de l’étranger». Applaudissements ! Quant au cas du Rsp, Michel Kafando a annoncé que le rapport de la commission mise en place sera examiné par le Gouvernement, mais il précise que les conclusions de ce rapport donnent une nouvelle mission au régiment de sécurité présidentielle.
Pendant 2h 15 mn d’horloge, les échanges entre le président Michel Kafando et les Burkinabè de France ont été des plus francs et directs. Comme au temps fort de la révolution, Michel Kafando a traduit à ses compatriotes de France mobilisés la devise de la Transition : Oser, inventer, initier. o
Alexandre Le Grand ROUAMBA
Retour sur les arrestations d’anciens dignitaires
Michel Kafando, à propos des arrestations d’anciens dignitaires, a cité un exemple qui a laissé la salle dans un soupir. Et il développe : «J’ai eu à recevoir les enfants du défunt Oumarou Kanazoé. Ce dernier a beaucoup fait pour le Burkina.
Quel que soit ce qu’on peut lui reprocher, il a eu dans sa vie des actes de bravoure et de patriotisme. Ses enfants sont venus me confier qu’il y a une voie qu’ils devaient construire de l’hôpital Yalgado jusqu’à l’échangeur de l’Est. Le contrat avait été attribué à Kanazoé qui a eu le temps de le signer avant de mourir. Mais, Mme Alizèta Ouédraogo (ndlr la belle-mère nationale) a dit à ces enfants qu’on leur avait attribué ce contrat, mais on le leur retire parce qu’elle a une offre beaucoup plus importante. Ces enfants n’ont plus eu ce contrat, alors que l’Etat leur reste redevable de plus de 5 milliards de FCFA».
Et Michel Kafando de poser une question, non sans en donner la réponse : «Qui a couvert un tel forfait ? C’est le ministre des Infrastructures et des transports, de l’époque. On ne peut être ministre de ce grand département et un simple individu vient dénaturer les contrats. C’est une responsabilité de l’ancien régime. C’est ce qui lui vaut son arrestation. Il est en liberté provisoire».