L’avocat Fako Bruno Ouattara est très impliqué dans les questions relatives à la gestion des ressources naturelles et au foncier. Il s’en est fait l’un des spécialistes. L’homme est reconnu pour être un expert en gestion des conflits. Des dossiers, il en a connus, puisqu’il a défendu des villages et des paysans dans la récupération de leurs terres. Nous sommes allés à la source du directeur du Centre international d’études sociologiques et de droit appliqué, pour recueillir quelques témoignages sur les affaires en lien avec l’accaparement des terres. L’auteur de «L’inachèvement juridique et institutionnel et ses conséquences sur le développement» jette aussi un regard sur la réforme agraire et foncière au Burkina.
– L’Economiste du Faso : La dernière édition de la Journée nationale du paysan a consacré la réflexion à l’agriculture familiale. Les paysans se réjouissent du fait que les pouvoirs publics semblent accorder plus d’attention aux exploitations familiales et les placent en priorité par rapport à l’agro-business. Cela a dû vous réjouir?
Me Fako Bruno Ouattara: Avant tout, je tiens à donner ma compréhension de l’exploitation familiale. L’exploitation agricole s’entendrait selon la définition de la Fao comme étant «une unité économique de production agricole soumise à une direction unique et comprenant tous les animaux qui s’y trouvent et toute la terre utilisée, entièrement ou en partie, pour la production agricole, indépendamment du titre de possession, du mode juridique ou de la taille. La direction unique peut être exercée par un particulier, par un ménage, conjointement par deux ou plusieurs particuliers ou ménages, par un clan ou une tribu ou par une personne morale telle qu’une société, entreprise collective, coopérative ou organisme d’Etat.
L’exploitation peut contenir un ou plusieurs blocs situés dans une ou plusieurs régions distinctes ou dans une ou plusieurs régions territoriales ou administratives, à condition qu’ils partagent les mêmes moyens de production tels que la main-d’œuvre, les bâtiments agricoles, les machines ou les animaux de trait utilisés sur l’exploitation». C’est de cette définition qu’il faille tirer la définition de l’exploitation familiale qui regrouperait des terres utilisées soit par un ménage, soit par un clan lignager.
En réponse à votre question, j’apprécie très favorablement cette approche des autorités, parce que, dans les faits, la production nationale a plus ou moins toujours été la somme des productions familiales. En réalité, nous n’avons pas en tant que tel au Burkina Faso d’agro-business men ou très peu. Une étude réalisée par le Graf (Ndlr: Groupe de réflexion et d’action sur le foncier) en son temps sur le sujet avait démontré de façon très pertinente que ceux qui se targuaient de ce titre-là étaient de dangereux prédateurs, tant de l’environnement que de nos sols. L’analyse de leurs comptes d’exploitation a démontré que ceux-ci étaient toujours presque négatifs. Aujourd’hui, que l’Etat se ravise et commence à parler de l’exploitation familiale ne peut que me réjouir. Je suppose que des actions sérieuses en vue de sa réorganisation permettront une meilleure production pour l’autosuffisance alimentaire. La grosse question qui se pose au niveau de l’exploitation familiale, c’est son statut juridique en tant qu’entité économique lignagère dont le statut est mal défini, pour ne pas dire pas du tout défini. Une proposition que nous avons toujours faite consistant à créer cette entité économique lignagère dotée d’un capital issu de l’évaluation du potentiel de production que serait cette entité économique et qui n’a jamais rencontré de succès. Disons que cette entité économique serait dotée de la personnalité juridique, avec des parts sociales foncières et un conseil d’administration.
– Vous avez aidé des paysans dans la défense de leurs dossiers relatifs à des problèmes d’accaparement de terres, pouvez-vous partagez quelques témoignages sur des cas difficiles que vous avez rencontrés ?
Dans le cadre de mes activités professionnelles ou associatives, j’ai effectivement défendu des paysans, voire des villages, par rapport à la question de l’accaparement des terres. Les cas les plus illustratifs que je peux citer concerneraient des acquisitions pendant la période coloniale, après la loi n° 77/60/AN portant règlementation des terres privées de la Haute-Volta, celles intervenues après l’adoption de la Réforme agraire et foncière en 1984 et d’autres acquisitions opérées après l’adoption de la loi 2009 portant régime foncier rural.
Le premier cas qui se situe pendant la période coloniale est constitué d’un vaste verger dont un greffier de l’Afrique occidentale française affecté dans une de nos juridictions s’était procuré au détriment des paysans d’un village. Aux indépendances, ce greffier a rejoint son pays d’origine sans rien signaler aux paysans du village qui lui avaient prêté la terre. Les paysans continuaient à respecter scrupuleusement le verger comme étant l’exploitation de ce greffier alors même que celui-là n’était plus au Burkina Faso. Ayant découvert cette situation d’une exploitation en abandon sans que les propriétaires terriens n’aient été informés de cet abandon, nous avons fait des enquêtes pour finalement aider ces paysans à récupérer leurs terres sans crainte, car ils avaient toujours peur que le greffier parti ne revienne leur créer des problèmes. Le deuxième cas est constitué de deux exemples. Il s’agit de ces grandes exploitations dont deux dignitaires du régime du président Sangoulé Lamizana s’étaient procuré dans la vallée du Kou au détriment de villages et que les héritiers voulaient vendre après leurs décès, alors que ces champs avaient été donnés gratuitement sans cession définitive. Nous avons assisté et défendu les villageois dans la récupération de leurs terres.
La troisième affaire est arrivée après l’adoption de la Réforme agraire et foncière. Certains dignitaires du régime du président Compaoré ont accaparé de grands espaces au détriment de certains villages aux motifs fallacieux que les terres appartenaient à l’Etat. Ils ont fait des documents qu’aujourd’hui les paysans contestent. Nous avons engagé des actions en vue de la récupération de leurs terres. Le quatrième cas se situe après l’adoption la loi 2009 portant régime foncier rural. L’adoption de cette loi semble ouvrir des possibilités d’accaparement des terres sans restriction en soumettant seulement une requête à l’appréciation du Conseil des ministres selon l’étendue de la superficie demandée. Aujourd’hui, nous avons de nombreux contentieux autour des superficies que des gens s’apprêtent à demander et qui rencontrent la résistance des paysans. Les dossiers sont en cours de traitement.
La difficulté dans la défense des cas d’accaparement des terres tient à trois points. Premièrement, les véritables propriétaires des terres ne sont pas souvent ceux qui donnent leur accord dans les procédures d’acquisition des terres. Ce qui crée une confusion dans la compréhension de l’étendue des droits cédés. La deuxième difficulté tient au fait que la terre n’a pas qu’une valeur économique, elle est aussi un espace de vie, avec des références socioculturelles non monnayables (les différents lieux sacrés, les rivières, forêts, etc.).
L’autre obstacle tient au fait que nos tribunaux de droit moderne sont mal outillés pour le traitement des conflits fonciers ruraux. Une solution a été trouvée par la création des commissions de conciliation foncière villageoise dont la saisine est préalable à tout contentieux juridictionnel.
-Lors du face à face avec le président du Faso, des paysans semblaient remettre en cause la loi actuelle sur le foncier et souhaitait sa reconsidération. Pensez-vous qu’il y ait des aspects à revoir dans les lois qui régissent le foncier au Burkina Faso ?
Une loi représente une vision à long terme de la résolution de la problématique à laquelle la population est confrontée. Elle est comme un outil de développement dont l’utilisation suppose un mécanisme bien huilé et parfaitement accessible, compréhensible par tous les acteurs.
La loi sur le foncier rural est venue résoudre le caractère de capital inactif de nos terres. Cependant, elle nécessite pour sa mise en œuvre une bonne compréhension du contexte socioculturel où elle doit s’appliquer.
Elle nécessite aussi une très bonne foi dans sa mise en œuvre. Si certains paysans ont commencé à vouloir remettre en cause cette loi, cela vient du fait que certains esprits malins ont tendance à lui faire dire ce qu’elle ne dit pas.
Ce n’est pas parce que les uns et les autres ne savent pas lire et écrire qu’ils n’ont pas une parfaite connaissance de la réalité foncière de leur localité. Certains aspects de la loi tels que les conditions de délivrance des attestations de possession foncière en milieu rural (Apfr) font peur à certains propriétaires terriens qui craignent que ceux à qui ils ont prêté leurs terres n’usent de ruses pour les en déposséder en se faisant établir des attestations de possession foncière, alors qu’en fait il n’en ont pas droit.
Une certaine clarification mériterait d’être portée à ce sujet. Par ailleurs, cette loi ne prévoit pas de dispositions transitoires, alors que l’administration ne dispose pas de moyens pour son application instantanée et complète sur tout le territoire national. Il faut y pallier au plus vite.
– L’avènement de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle lancée en 2012 au Burkina inquiète le monde paysan qui craint des acquisitions à grande échelle au profit d’investisseurs privés étrangers. Pour vous qui suivez de près les questions foncières, quelle tendance observe-t-on depuis ?
Nous avons déjà rencontré cette problématique avec certains investisseurs privés qui nous ont approchés pour les aider à acquérir de grands espaces pour la production du biocarburant par exemple. Nous avons estimé qu’il n’était pas opportun, à ce stade de l’évolution de notre agriculture, de déposséder totalement les paysans par le système de rachat de leurs terres par des investisseurs étrangers.
Nous avons plutôt proposé que ces terres puissent être considérées comme étant l’apport des paysans dans le capital de l’exploitation envisagée par les investisseurs étrangers.
– Pensez-vous aujourd’hui qu’il est possible de concilier agriculture familiale avec l’agrobusiness dans un contexte de facilitation de l’accès aux terres aux entrepreneurs privés ?
Oui, à condition que les exploitations familiales, qui seront des entités économiques avec des statuts clairs, soient considérées comme des apports en nature au capital de l’exploitation de type agrobusiness envisagée.
Recueillis par Christian KONE