Après le 15 octobre 1987, Guy Yogo a fait partie de ceux-là qui ont opposé une résistance politique ouverte au régime du Front populaire. Cela l’a conduit à mener des activités de soulèvement du mouvement scolaire et estudiantin en mai 1988. La répression s’est abattue sur ces mouvements. C’est ainsi qu’il a été «emprisonné et torturé pour être ensuite contraint à l’exil». Il s’installe alors à Dakar pour reprendre ses études et poursuivre le combat. Aujourd’hui, il est basé à Conakry où il occupe le poste de Représentant adjoint du Fonds des nations unies pour l’enfance (Unicef). Membre du bureau politique du Mouvement du peuple pour le progrès (Mpp), il était de passage à Ouagadougou et a profité répondre aux questions de L’Economiste du Faso sur l’actualité nationale.
– L’Economiste du Faso : Comment avez-vous vécu cette insurrection depuis Conakry ?
Dr Guy Yogo: J’ai jubilé ce jour-là. Je m’incline devant le courage du peuple burkinabè. L’avenir de la jeunesse est aux mains de la jeunesse. L’avenir de la jeunesse ne devrait pas être et ne saurait jamais être aux mains de politiciens. Elle doit savoir que désormais elle doit s’assumer et qu’elle doit être maîtresse de son destin. Reconnaissance à ce peuple burkinabè qui sait dire non et qui sait être au rendez-vous des moments historiques pour l’épanouissement de notre peuple. C’est avec beaucoup de fierté et de satisfaction que j’ai accueilli cette insurrection, intervenue après plus d’un quart de siècle de lutte. Il faut maintenant envisager la construction d’un régime démocratique qui mette en avant les intérêts supérieurs du pays.
– De plus en plus, les dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo sont repris par les autorités de la Transition. Pensez-vous que ces dossiers connaitront véritablement une issue ?
C’est une exigence de l’histoire que la lumière soit faite. Je pense que la lumière sera faite. Au-delà de ces deux assassinats, il y en a d’autres qui doivent être éclaircis. Je pense que c’est autour de la vérité établie que la justice se fera, et justice devra être faite.
– Hier défenseur farouche du capitaine Thomas Sankara, aujourd’hui au MPP, alors qu’il y a des partis sankaristes. N’êtes-vous plus Sankariste ?
Sankariste, je le suis et Sankariste, je demeure. Mon adhésion au Mpp s’inscrit véritablement dans une optique sankariste, dans une optique de l’idéal de Thomas Sankara, surtout des valeurs qu’il a incarnées. Mon adhésion au Mpp est une rencontre véritable entre des hommes venus de plusieurs horizons. L’idéal sankariste est un repère fort pour engager la construction de la patrie. Je me sens à l’aise au Mpp qui fera en sorte que la gestion du pouvoir soit démocratique et repose fondamentalement sur les aspirations du peuple.
– La rumeur devient persistante en ce qui concerne une éventuelle prolongation de la Transition. Avez-vous foi que l’élection se tiendra à bonne date ?
Nous avons foi que les revendications populaires exprimées les 30 et 31 octobre seront respectées. Ce rendez-vous pris pour le peuple et par le peuple doit être respecté, de sorte à ce que nous puissions parvenir à une transition politique transparente et saine.
– Comment jugez-vous, depuis Conakry, la Transition au Burkina ?
La Transition doit s’approfondir en jetant les bases de nouvelles institutions et d’un nouveau pouvoir. Elle doit inculquer une culture de rupture. Il s’agit de faire en sorte que la gestion calamiteuse du pays et la culture de corruption n’aient plus force de loi dans ce pays. Cette Transition doit faire en sorte que chaque homme politique puisse être comptable de sa gestion, de sorte à ce que ceux qui doivent rendre compte au peuple puissent le faire en toute transparence et en toute égalité. C’est comme cela que nous allons engager un Burkina nouveau, un Burkina meilleur.
– Le Cdp vient de se doter d’un nouveau bureau. Avez-vous un commentaire à ce sujet ?
Il ne s’agit pas de changer de personnalité. Il s’agit avant tout de faire le bilan de la gestion du pouvoir par le Cdp, de faire le bilan de l’héritage politique, économique et social du Cdp dans sa gestion. Du point de vue de l’héritage politique, il faut que la vérité soit établie et les responsabilités situées sur l’ensemble des crimes politiques qui ont été commis durant son règne. Il faut que cette vérité soit dite sur les crimes économiques commis pendant son règne.
– Certains du Mpp sont aussi comptables de ce bilan.
Tout homme politique est comptable. Tout homme politique sera comptable de sa gestion du passé et de son projet de société du futur. C’est une exigence élémentaire de l’engagement politique. Je crois que la décence politique amène chaque homme politique à une introspection qui se résume à cette question : «Ai-je servi ou asservi le peuple?». De façon indépendante et autonome, tout homme politique devrait répondre à cette question avant même que la justice puisse se mettre en action. En tout cas, le peuple en insurrection demandera des comptes.
– Etes-vous de ceux qui exigent une Ve République pendant la Transition ?
La IVe République a été façonnée à l’image d’un seul homme au service de la confiscation du pouvoir, au service d’une hégémonie politique. Il faut donc une refondation politique, sociale et institutionnelle claire afin de remettre les axes du pouvoir au peuple. Cela se passera à travers une nouvelle République ou à travers des réformes politiques profondes. Au-delà des questions constitutionnelles, il est important qu’au Burkina, on puisse avoir une nouvelle culture politique, qu’on puisse se donner les moyens d’une moralisation de la vie politique, d’une prise de conscience sublime qui donne de la noblesse à tous de faire de la politique. Vous comprenez que quelles que soient les bonnes institutions ou les bonnes Constitutions écrites et prescrites, aussi longtemps que les hommes ne seront pas démocrates, aussi longtemps que les politiciens seront véreux, corrompus et dégénérés, ils vont dévoyer et asservir le peuple. Il est donc important que nous puissions arriver à un code de conduite politique clair qui fasse en sorte que la justice et le peuple soient toujours souverains. Il faut que la culture du privilège, que la culture politique vue sous l’angle d’ascension sociale unique, puisse être à jamais bannie.
– Le nouveau Code électoral fait des gorges chaudes. Quel est votre avis là-dessus ?
Nous devons rendre justice à notre propre histoire. Les blessures et les fractures dans notre histoire sont si profondes que l’appel à la réconciliation politique et l’appel à la cohésion sociale doivent reposer sur la redevabilité de chacun et de chacune qui veut solliciter le suffrage du peuple. Nous devons faire en sorte que l’avenir de notre pays soit aux mains d’hommes crédibles, soucieux du devenir de la patrie. Pour ce faire, rétablir la vérité n’est pas une exclusion. Participer au jeu politique n’est pas une exonération des crimes qui ont été commis. Les hommes politiques qui pensent que le nouveau Code les exclue se trompent. Quand ceux-là se refugiaient à la gendarmerie, il n’y avait aucun Code qui les y conduisait. Le Code populaire est donc toujours là.
Propos recueillis par Alexandre
Le Grand ROUAMBA