Le 30 mai prochain a été retenu pour célébrer la Journée d’hommage aux martyrs de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Une première date du 13 décembre 2014 avait été retenue à cette fin, mais querellée. Finalement, la date tant attendue pour honorer tous ceux qui sont tombés à l’occasion de cette insurrection populaire a été trouvée. Mais qu’attendent les partis politiques et les acteurs de la société civile de cette commémoration? Dans les différents états-major, l’initiative est saluée, même si certains regrettent que cela intervienne 7 mois après l’insurrection.
A l’occasion de cette commémoration, il y a lieu de tout mettre en œuvre pour que cette journée réponde à toutes les attentes. C’est du reste le souhait et l’inquiétude de François Kaboré de l’Union pour le progrès et le changement (Upc, ex-opposition) : «Il faudra que cette journée soit bien étudiée sinon, on peut avoir le peuple contre nous. C’est pourquoi je suggère que l’on mette en place une petite commission pour réfléchir sur ce qu’il faut faire ce jour-là. Si on fait un faux pas, on risque de se faire griller par la population. Réfléchissons davantage! Surtout que des actions fortes doivent se faire à l’endroit de ces martyrs pour qu’ils ne soient pas aussi des exclus».
Du côté du Mouvement du peuple et le progrès (Mpp, ex-opposition), il faut rechercher les coupables. C’est du reste l’avis du secrétaire général du parti de Roch Marc Christian Kaboré, Clément Sawadogo : «On parle de martyr, mais il faut que l’on marque cela par un acte officiel. Il faut que cet hommage soit à la hauteur de ces martyrs. Il faut donner la parole ce jour-là à tous ceux qui ont été acteurs de ce grand événement, de sorte à ce qu’on tire leçon de cela. En plus, il faut que les coupables soient recherchés. Il y a des gens qui ont tiré sur les manifestants. Il faut rechercher ceux aussi qui ont donné l’ordre de tirer. Il faut de la vérité autour de cet événement».
Quant à Issa Balima de l’Union des forces centristes (Ufc, ex-majorité), il pense que chacun doit se dire que ce sont les martyrs de tout le peuple burkinabè. En somme, il ne faudra pas que certains pensent que ce sont leurs martyrs à eux. Il pense même que les dissensions peuvent s’intensifier à l’occasion de cette journée: «J’avoue qu’à travers le comportement déviationniste du Gouvernement qui prend part à des meetings de partis politiques, cela n’est pas de nature à arranger les choses. Cette journée pourrait raviver certaines dissensions. Je n’en doute même pas un peu. Certains pensent que ce sont exclusivement leurs martyrs, alors que ce sont des martyrs du peuple. J’ai même perdu un neveu dans cette insurrection».
Du côté des Sankaristes, le problème est tout autre. Me Bénéwendé Sankara (président de l’Unir/Ps, ex-opposition) précise : «Là où ça me pose problème, c’est que c’est une décision gouvernementale et non une décision du Conseil national de la transition (Cnt). J’aurais souhaité que la Journée d’hommage aux martyrs soit une journée qui fait consensus et qui fait l’objet d’une loi. Cela aura l’avantage de ne retenir qu’une seule date pour célébrer tous ces martyrs qui se sont battus pour leur patrie. Il faut une date pour tous les martyrs burkinabè, pour ceux qui sont tombés pour la République. Nous avions suggéré la date du 13 décembre, jour de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, qui s’est battu pour la démocratie. Pour moi, tous ceux qui sont tombés aujourd’hui le sont à la suite d’un combat qui a été mené. Du coup, on réglait tous les problèmes de dates par une seule journée. Je ne sais même pas pourquoi le 30 mai». Me Sankara regrette qu’il y ait plusieurs dates pour célébrer ces martyrs burkinabè : «Les Sankaristes vont commémorer l’assassinat du président Thomas Sankara le 15 octobre, le Brassard noir va commémorer l’assassinat du juge Nébié le 6 décembre, les élèves vont se souvenir de l’assassinat de Flavien Nébié le 34 mai, sans parler de la commémoration de l’assassinat de Norbert Zongo le 13 décembre, etc. Il nous fallait une date unique et historique pour rendre hommage à tous ceux qui ont versé leur sang pour la justice et la démocratie. Malheureusement, nous n’avons pas été compris».
Au sein du Balai citoyen (organisation de la société civile), son porte-parole, Me Guy Hervé Kam, veut faire la part des choses : «Tous ne sont pas des martyrs de l’insurrection, car certains sont morts suite à des actes de vol. C’est la même chose pour certains blessés qui ne sont pas des blessés de l’insurrection. L’hôpital nous a suffisamment enseignés là-dessus, parce qu’il y a de faux documents. Certains blessés se sont infiltrés».
Parlant justement des blessés de l’insurrection, quelque chose doit être fait à leur endroit pour qu’ils ne soient pas aussi des exclus. A ce sujet, Me Sankara préconise qu’«on les soigne le plus rapidement possible et qu’on les prenne en charge». Par rapport à la stèle qui sera érigée en mémoire de ces martyrs, tous saluent cette initiative parce que cela permettra aux martyrs des 30 et 31 de ne jamais tomber dans les oubliettes.
Le risque dans cette célébration est sa probable politisation. Ne va-t-on pas transformer l’ère de la cérémonie en une propagande politique ? Chaque parti politique ne va-t-il pas chercher à faire sa propre publicité en lieu et place de l’hommage qui doit être rendu à ces martyrs ? Les différents états-major des partis politiques ont leur idée là-dessus. Issa Balima de l’Ufc est catégorique : «Les gens vont politiser cette journée».
François Kaboré de l’Upc est tout aussi clair : «Cet événement a forcément une connotation politique. Ce sont des martyrs du peuple. L’insurrection est populaire». L’avis de Clément Sawadogo du Mpp est plus nuancé : «On ne peut pas écarter une vision politique de cette journée. Mais attention à ne pas en faire une activité politicienne, c’est-à-dire une activité de propagande pour des acteurs politiques qui voudraient se faire voir. Si c’est le cas, ce sera une forme de récupération politicienne qui ne sera vraiment pas de bon ton. Il faut que le caractère sérieux, véritablement national et intégrateur, soit collé à cette journée».
Comme l’a souligné Clément Sawadogo, on ne peut pas rétablir la vie d’un être humain. Mais il faut qu’on trouve les voies et moyens pour soulager les uns et les autres, préserver leur dignité en ce jour mémorable. Les rivalités politiques ne devront pas prendre le pas sur le vrai objectif de cette journée. Chacun doit y veiller.
Alexandre Le Grand ROUAMBA