Après la grosse crise qui a secoué la panafricaine de l’eau et de l’assainissement, EAA, la reprise sonne comme un véritable défi pour les nouveaux responsables. Les querelles entre l’ancien secrétaire exécutif et le personnel avait conduit à la fermeture de l’institution. La cour délaissée et délabrée est en train de se reverdir et le personnel reprend du service de la plus belle manière. Au propre comme au figuré, la maison revit. Le nouvel administrateur provisoire désigné, l’Ivoirien Théophile Gnagné, livre les circonstances qui ont conduit à cette nouvelle situation et fustige le manque de fair-play de l’ex-secrétaire exécutif, Idrissa Doucouré, qui, malgré son échec, tente de divertir.
– L’Economiste du Faso : EAA a traversé une grave crise courant 2014, qu’est-ce qui explique qu’une institution vieille d’un quart de siècle en soit arrivée là ?
Théophile Gnagné, Administrateur provisoire: En fait de crise, il faut dire qu’elle a été provoquée. Mais je tiens à dire qu’il s’agit surtout d’une crise de leadership et non structurelle. Le tout gravite autour de cela: le management ou la gouvernance. Il faut savoir où on va et avec qui on peut y arriver ; les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. A priori, certains avaient des agendas cachés et se sont servis au lieu de servir l’institution. La conséquence de cette crise de leadership que nous avons vécue a été d’abord financière. Les dépenses dans l’institution ont excédé les recettes. En attendant les résultats de l’audit que nous entamerons très bientôt, le processus est d’ailleurs déjà lancé, la dette se chiffre à une dizaine de milliards de Francs CFA. Ensuite, la crise a été organisationnelle. En la matière, je dirai que les textes ont été taillés sur mesure, l’organigramme a été chamboulé, des recrutements anarchiques ont été faits, etc.
– Où en êtes-vous avec tout ça alors ?
Après avoir lutté toute une année durant avec abnégation, le personnel a réussi à attirer l’attention des plus hautes autorités actuelles du Burkina, qui se sont saisis du dossier et ont pu donc trouver une issue en convoquant un Conseil de ministres extraordinaire le 23 février 2015, qui a décidé fermement de relancer les activités de EAA. Mais il faut insister et préciser que la démarche du Burkina d’organiser un Conseil extraordinaire tient à deux faits. Dans un premier temps, le siège est au Burkina et donc le Burkina avait une responsabilité énorme. Dans un second temps, les autorités du Burkina ont saisi le président du Conseil des ministres de l’époque, le ministre camerounais de l’eau et de l’énergie, pour qu’il s’occupe du cas de EAA et le personnel en a fait de même sans aucune réaction de sa part.
C’est alors que le Burkina, conformément aux textes de l’institution, a convoqué ce Conseil qui a pris des décisions fortes. Résultats, l’ancien président a été déchu de ses fonctions et remplacé par le ministre en charge de l’Eau du Burkina pour la période transitoire, il a été aussi mis fin au mandat de l’ex-secrétaire exécutif, Idrissa Doucouré et un Administrateur provisoire en ma personne a été nommé. Le Conseil extraordinaire a également jugé utile de mettre en place un comité intergouvernemental composé de 7 pays que sont le Sénégal, le Tchad, le Burkina Faso, le Togo, le Nigeria, la Gambie et la Guinée Bissau. Surtout, il a été convenu de faire un audit organisationnel et de relire les textes de l’institution. Ce sont toutes ces décisions qui nous ont permis d’être là aujourd’hui et de tenter de remettre les choses en ordre.
– Il fait aussi cas d’un conseil tenu à Yaoundé (Cameroun) juste après, donnant une autre version de la chose et notamment l’ex-secrétaire exécutif qui conteste ces décisions et clame l’illégalité du conseil de Ouagadougou. Tout cela fait confusion.
Vous avez raison quand vous le dites. Mais je tiens à rassurer tout le monde, car il n’y a aucune confusion possible dans notre situation actuelle. C’est vrai que l’ex-secrétaire exécutif fait tout pour qu’il existe cette confusion par des actes de roublardise mais nous sommes sereins. Parlant d’illégalité, c’est en réalité le fameux conseil de Yaoundé qui l’est. Je vous explique. Premièrement, il n’avait pas sa raison d’être puisque le Conseil de Ouagadougou a déchu les deux personnes habilitées à convoquer un conseil par leurs fonctions.
C’est-à-dire qu’ils n’avaient plus aucun droit de convoquer un conseil au nom de EAA. Même si on considère qu’ils avaient le droit de le convoquer, il n’y a qu’à regarder la façon dont il s’est déroulé pour se convaincre de son illégitimité. Les informations qui nous sont parvenues montrent qu’il n’y avait pas les ministres à Yaoundé, à l’exception bien sûr de celui du Cameroun.
Le reste des participants était constitué d’ambassadeurs. Les textes de l’institution sont clairs: c’est aux 1/3 des ministres membres du conseil que les décisions sont prises. Plus anecdotique encore, c’est le président du conseil des ministres qui a signé lui seul le communiqué final. C’est du jamais vu. Il y a deux hypothèses, soit ceux qui étaient présents n’étaient pas mandatés ont refusé de signer, soit ce communiqué a été inventé et signé dans le seul but de semer cette confusion dont vous parlez. Dans tous ces deux cas, vous voyez qu’il s’agissait plus du bidonnage que d’autre chose.
– Pensez-vous alors être l’homme de la situation quand vous trouvez une institution dans un tel état? Le pari est énorme, même si vous êtes un des anciens de la maison. Les croyants disent qu’on ne peut pas prédire l’avenir. C’est en partie vrai, mais en tant que scientifique, vous me permettrez d’émettre l’hypothèse que l’avenir s’annonce rose. Nous avons une vision et nous pensons qu’elle est bien claire, c’est celle que nous sommes en train d’opérationnaliser. Tout est réuni pour que EAA renaisse de ses cendres. Le défi est énorme certes, vous l’avez dit, mais c’est échouer que de ne pas tenter. Je suis l’un des anciens de la maison pour avoir été représentant résident de mon pays depuis 1998 à maintenant et toute notre évolution ne m’est pas étrangère. Je mettrai cela à profit en plus de mes compétences de chercheur, pour trouver la bonne voie. Mais cela ne sera possible qu’avec le concours de tout le monde, mes collaborateurs directs, les partenaires, les Etats, vous les hommes de médias, tout le monde.
– Quelles sont aujourd’hui vos relations avec vos partenaires ? Ne sont-ils pas partis ?
Elles sont bonnes, même si elles ont quelque peu été touchées par la crise. Les partenaires ont maintenant compris la crise et tout ce qui s’est passé ; ils attendent de voir les résultats de l’audit pour pouvoir à nouveau nous accompagner et si vous voulez, redémarrer.
Certains continuent de le faire sans problème. J’ai rencontré la plupart d’entre eux, ils sont prêts à nous accompagner. Heureusement qu’ils n’ont pas rompu. Ils sont toujours là pour nous accompagner, mais nous attendons de finir l’audit et les choses vont reprendre normalement.
– On sait que le domaine de l’assainissement demeure le parent pauvre du secteur WASH, comment voyez-vous l’assainissement d’ici à 2030 ?
Parent pauvre, c’est vrai, mais parce que les gens ne savent pas ce que l’assainissement peut apporter. C’est vrai aussi que les statistiques ne sont pas du tout bonnes. J’étais la semaine dernière au CASEM de notre ministère de tutelle et on disait que le taux au Burkina était de 9%. C’est très peu, moi je considère d’ailleurs que ça tend vers 0%. Mais encore une fois, je dis que l’assainissement est l’avenir du secteur en Afrique si on accepte de prendre des décisions courageusement et d’investir dans ce domaine.
– Comment EAA compte y apporter sa contribution alors?
Je disais tantôt que l’assainissement est un secteur rentable. Eh bien, c’est à nous de le prouver. C’est ce que EAA entend faire. Tout comme l’or, l’assainissement est un gisement, certains l’appellent d’ailleurs l’or dur. Il faut que nous arrivions à convaincre le secteur privé à s’y investir et c’est ce que nous faisons. D’ailleurs depuis la reprise, nous travaillons avec le privé, notamment quelques institutions financières au Burkina, pour mettre en œuvre certains projets d’assainissement. Notre vision est que l’ingénierie financière doit nous permettre de passer à l’échelle dans la fourniture des services d’assainissement. Ça veut dire que désormais, nous n’allons plus nous contenter de faire par exemple deux toilettes ici, quatre là-bas, mais nous allons maintenant prendre un village, un département, une province, une région et couvrir totalement. C’est cela notre vision, c’est cela notre ambition.
Propos recueillis par Jean De Baptiste OUEDRAOGO