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Claude Wetta, secrétaire exécutif du Ren-Lac : «Il faut que les juges changent de mentalité»

L’invité du Club de L’Economiste est un activiste de la lutte contre la corruption et les abus des biens publics. Claude Wetta, secrétaire exécutif du Réseau national de lutte contre la corruption (Ren-Lac), était face aux journalistes de la Rédaction, au lendemain de l’adoption par le Conseil national de transition (Cnt), le 4 mars dernier, de la loi anti-corruption dont sa structure aura été un des principaux promoteurs. 

Ce texte fourni de 117 articles définit les actes de corruption et détermine les sanctions. Votée à l’unanimité, cette loi va-t-elle enfin moraliser la vie publique nationale ? Explications avec Claude Wetta.

– L’Economiste du Faso : Quelle est l’appréciation du Ren-Lac de la loi anti-corruption enfin adoptée et quel sera son apport dans la lutte contre la corruption au Burkina Faso ?
Claude Wetta, sécrétaire exécutif du Ren-Lac : Depuis 2011, nous avons demandé une étude à des consultants sur les textes de la loi anti-corruption au Burkina Faso. Nous nous sommes rendu compte que les lois anti-corruption sont éparses. De plus, la définition de la corruption dans ces textes ne correspond pas à celle au niveau international, car elle ne prend pas en compte la dimension économique. Elle prenait juste en compte le côté juridique.
Il y a un certain nombre d’insuffisances qui ont été identifiées et c’est sur la base de ces insuffisances que nous avons demandé à des consultants de nous proposer un texte où tous les événements de la lutte anti-corruption seraient mis ensemble, en prenant en compte les dimensions économiques. La question des marchés publics, la déclaration des biens, le délit d’apparence, toutes ces questions qui n’avaient pas une bonne substance dans les textes précédents ont été prises en compte dans la loi. L’avantage est que nous avons eu une jonction entre les parlementaires du réseau Burkindi et le Ren-Lac. Cette jonction a permis de travailler ensemble et d’avoir un texte commun, porté par les parlementaires à l’Assemblée. Les innovations que cette loi apporte sont la consécration du droit de saisine des Organisations de la société civile. Désormais, avec cette loi, les Osc auront la possibilité de se positionner comme partie civile dans les procès.


 Les mines, un secteur très opaque et impénétrable.


Cette loi fait aussi obligation au procureur d’ouvrir des enquêtes en cas de dénonciation dans les rapports publics de l’Asce. La déclaration de patrimoine et des intérêts et son pendant qui est le délit d’apparence ou l’enrichissement illicite y est mieux encadrée. Dans cette loi, le mécanisme de dépôt et de vérification est plus efficace qu’avant, et la liste des personnes concernées est élargie au maximum en tenant compte d’un certain nombre de critères.
La liste qui existait ne permettait pas de cerner un certain nombre de personnes qui sont susceptibles de corruption d’une manière ou d’une autre. Des sanctions en cas de fausses déclarations, de déclarations incomplètes ou de refus de procéder à cette déclaration vont permettre que le mécanisme soit plus opérant. La corruption électorale, le financement illicite des partis politiques, la passation des marchés et la gestion de la commande publique, tous ces aspects sont pris en compte.

– Il n’y a-t-il pas des risques que cette loi soit l’occasion pour certains de procéder à une chasse aux sorcières à travers des dénonciations calomnieuses ?
Nous avons essayé de prévoir quelque chose en la matière. Toutes les déclarations ne sont pas rendues publiques. Il n’y a que celles des membres de l’exécutif et des parlementaires qui sont rendues publiques dans le journal officiel. Ces informations seront accessibles à tous et permettront aux citoyens d’exercer un certain contrôle dénommé «le contrôle citoyen». En ce qui concerne les magistrats les autres fonctionnaires soumis à ce contrôle, leurs déclarations ne seront pas rendues publiques. Mais il existe des mécanismes de contrôle. Un organisme comme le Ren-Lac, lorsqu’il aura des soupçons pourra approcher l’autorité pour avoir ces informations pour exploitation. Cependant, en ce qui concerne les dénonciations, nous avons prévu dans la loi l’infraction de dénonciation abusive ou calomnieuse. Toute personne qui fera des dénonciations dans le but de calomnier une personne sera punie. Nous avons ouvert la possibilité, mais avec des garde- fous pour éviter les dérives. Si la loi est appliquée de bonne foi, il n’y aura pas de difficulté. Nous comptons sur la population et la société civile afin de faire appliquer cette loi.
Il existera toujours des personnes qui voudront s’enrichir de manière illicite. Mais cette loi donnera les moyens à la population d’y veiller. Notre objectif est de veiller au bien public et de faire en sorte qu’il ne soit pas le patrimoine de certains seulement, mais qu’il serve à tout le monde.

– Quel est l’état des lieux actuel de la corruption au Burkina Faso ?
En général, la corruption est appréciée par notre organisme sur la base de deux éléments que sont sa fréquence et sa progression. Dans notre rapport de 2013, la corruption est fréquente à 95,9% au Burkina Faso. La moitié de la population interrogée sur un échantillon de 2.000 personnes estime que la corruption a progressé. Au-delà de cela, nous regardons également les chiffres de Transparency International. Nous essayons de voir quelle est la note attribuée au Burkina Faso par cet organisme. La note va de 0 à 10. Dans leur dernier rapport, le Burkina Faso avait la note de 3,8/10. Ce qui n’est pas très bon.

Les secteurs les plus touchés par la corruption sont la douane et la police municipale. La douane reste en tête du classement, de 2008 à 2013. S’en suit la police municipale qui est constamment à la seconde place. Mais il y a des évolutions en ce qui concerne la police nationale.
C’est le corps qui a fait de vrais progrès. Elle était 3e en 2008.
Actuellement, elle occupe la 8e place. La police nationale a pris des mesures assez drastiques pour éloigner la corruption.

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– Et les mines dans tout ça ? On en parle …

En ce qui concerne les mines, c’est un secteur très opaque et impénétrable. Lorsque nous avons envoyé nos enquêteurs pour les problèmes concernant le secteur, notamment les questions de corruption, il a été difficile d’avoir des informations. Rien n’y filtre. Et lorsque nous avions essayé de rencontrer les responsables comme le directeur général du Bumigeb ou le ministre des Mines de l’époque, nous avons eu l’impression qu’ils ne souhaitaient pas répondre à nos questions. Nous avons donc produit des documents pour dénoncer l’évasion des lingots d’or et le non-respect des engagements pris pour gérer l’aspect l’environnemental. Mais il est évident que si tout cela se fait, c’est avec la complicité de certains responsables à un haut niveau.


 

 

La justice n’est pas irréprochable en ce qui concerne la corruption


– Il y a-t-il des évolutions avec les dossiers de corruption pendants en justice ?
Nous avons essayé d’aller en justice avec le dossier Guiro, mais le juge nous a dit que nous ne pouvons pas nous constituer en partie civile dans cette affaire, parce que nous ne sommes pas directement concernés. Nous avons un certain nombre de dossiers, mais il faut que les juges changent de mentalité pour que nous puissions ester en justice. Pour le moment, ce n’est pas possible. Nous avons transmis ces dossiers à l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (Asce) et nous pensons qu’elle va prendre des initiatives pour que ces dossiers aboutissent. Elle a en sa possession des dossiers sur des cas de corruption avérés, mais restés impunis.
C’est au cours de la première visite de courtoisie du Contrôleur général de l’Etat que nous avons estimé qu’il était nécessaire de mettre à sa disposition le document en question, en plus du mémorandum qui a porté sur l’ensemble des dossiers adressés au président Blaise Compaoré et au Premier ministre qui ont été interpellés afin que les cas de corruption avérés ne puissent pas rester impunis. C’est l’ensemble des cas dénoncés aussi bien par la presse que par les structures de contrôle telles que l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat, la Cour des comptes, et certains cas traités par le Ren-Lac. Nous avons essayé de ressortir l’état de traitement au niveau de la justice.
A ce niveau, nous avons abouti à la conclusion qu’au niveau de la justice, il n’y avait pratiquement rien de fait. Raison pour laquelle nous avons qualifié certains dossiers de cas manifestes de corruption restés impunis de 2006 à 2010. Il a été remis en espérant que la structure fasse avancer les choses. Cependant, nous pensons que le véritable problème se trouve au niveau de la justice. A ce niveau, s’il n’y a pas un certain nombre de choses qui sont réglées, il nous sera difficile d’avancer.
L’une des difficultés est que la justice elle-même ne sait pas encore autosaisie d’un dossier de corruption en tant que tel, hormis l’affaire Obouf où le procureur a réagi. Pourtant, la justice a la possibilité de se saisir d’un dossier pareil, même lorsqu’il s’agit de rumeurs, en procédant à des vérifications de sorte que celui qui est mis en cause soit inculpé ou disculpé. A l’intérieur, il y a aussi le problème de transparence. La justice n’est pas irréprochable en ce qui concerne la corruption. Il y a un certain nombre de problèmes qui ne contribuaient pas à arranger les choses. Aujourd’hui, nous pensons qu’il est nécessaire de procéder à un certain nombre de réglages au sein de la justice pour espérer avancer.

– C’est bientôt la campagne électorale au Burkina Faso. On parle de corruption électorale et de financements occultes des campagnes. Comment y remédier ?
Nous avons toujours dénoncé le financement occulte des campagnes électorales et nous souhaitons la transparence à ce niveau. Les campagnes électorales doivent être l’occasion d’éduquer sainement les populations. Elles ne doivent pas être l’occasion de faire étalage de ses biens.
Nous sommes contre la ploutocratie. Mais nous n’avons pas d’enquêtes précises sur cette pratique. Cependant, avec la prochaine campagne électorale, le Ren-Lac doit se mettre en ordre de bataille pour détecter toutes ces pratiques. Comment cela se passe au niveau des campagnes, au départ, comment les gens vont dans les villages, ce qu’ils font, etc. Nous avons le souci de pouvoir faire une enquête et nous nous préparons dans cette optique.
Avec nos antennes dans les régions, nous allons pouvoir nous y déployer pour le faire. Nous n’avons pas de textes clairs qui régissent cela. Mais au-delà, nous avons les questions d’éthique et de morale qui se posent et c’est très important. Quelques fois donc, il faut aller au-delà des questions juridiques.
Propos retranscrits par Germaine Birba


 

 

Quid du Ren-Lac

Le Ren-Lac est un réseau d’organisations de la société civile. Elle représente toutes les composantes de la société civile que sont les syndicats, les mouvements des droits de l’homme, les organisations confessionnelles, les mouvements des femmes, des jeunes et bien d’autres. Une large palette d’organisations compose le réseau créé en 1997 avec la mission d’œuvrer à garantir la bonne moralité et la transparence dans la gestion de la chose publique.
Il est composé d’un secrétariat exécutif de 8 personnes, de 14 permanents et du personnel de soutien. Chaque année, le Ren-Lac tient une assemblée générale où le secrétariat exécutif est évalué. o

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