La société Brafaso (les Brasseries du Faso) va redémarrer. Telle est la volonté du Gouvernement qui semble aujourd’hui déterminé à y parvenir. Tous les mécanismes sont actuellement mis en branle. Un plan de relance a été adopté en Conseil des ministres le 21 janvier dernier et l’ensemble des ministères concernés par le dossier ont été instruits pour exécuter chacun sa partition. Cette décision a été immédiatement suivie d’une visite des installations de l’entreprise sur le site de Komsilga, situé à la lisière du quartier Ouaga 2000. Guidés par Adama Zerbo, Coordonnateur pour la relance de Brafaso, le président Kafando et les membres du Gouvernement ont pu constater l’état réel de l’usine. La semaine dernière encore, le porte-parole du Gouvernement soulignait la place prépondérante de Brafaso dans la politique économique de la transition. C’est donc une affaire qui est prise très au sérieux. Du coup, les commentaires et les rumeurs de tout genre sur ce dossier très populaire de Brafaso ont été relancés. Pourquoi maintenant ? A qui profite ce prochain redémarrage? Est-ce une décision réaliste ou s’agit-il d’une décision aventureuse du gouvernement de la transition ? Les questions sont nombreuses et l’on s’y perd souvent en conjonctures.
C’est surtout du côté des sources actuelles du dossier que nous avons tenté de comprendre le sens de la décision de redémarrage de Brafaso.
Sylvanus Traoré, Directeur du Bureau de restructuration et de mise à niveau (Brmn), une structure de réflexions techniques, tient d’emblée à noter un constat : «Il y a trop de choses qu’on raconte sur ce dossier. Il y a souvent du vrai, mais aussi beaucoup de faux. Des gens, qui ne connaissent pas ce dossier, en parlent. C’est normal qu’un projet de cette nature, qui implique beaucoup d’argent, intéresse le public mais dans cette effervescence, nous avons souvent entendu trop des choses infondées», rectifie le technicien. Et comme pour dire que Brafaso n’a aucun secret pour lui, Sylvanus Traoré assure que ce dossier est l’un des plus documentés de son bureau.
Même ton chez Adama Zerbo, cadre du ministère en charge de l’industrie, désigné depuis 2012 pour coordonner la relance de l’usine. «Le sujet Brafaso est purement économique et c’est véritablement sous ce prisme qu’il faudra analyser tout ce qu’on évoque autour de ce dossier.
Dans le milieu des affaires, les bonnes opportunités suscitent forcément des intérêts. Il peut y avoir des personnes qui sont attirées et qui souhaitent pouvoir profiter, mais d’autres peuvent également, de leur côté, avoir des raisons légitimes d’être préoccupés. Chacun essaie de s’activer, mais c’est une situation normale dans ce milieu», tempère le Coordonnateur pour la relance de Brafaso.
Ceci dit, le redémarrage de l’usine n’est pas une décision soudaine sortie du chapeau de la transition. On pourrait estimer que le dossier est en voie de connaitre un coup d’accélérateur grâce à la volonté politique du moment, mais son évolution actuelle est présentée comme la résultante d’un processus ayant connu plusieurs étapes.
«Depuis la signature en décembre 2011 d’un Accord-cadre entre Brafaso et l’Etat burkinabè, plusieurs actions ont été entreprises pour parvenir au démarrage effectif de l’unité industrielle», mentionne Adama Zerbo. Celui-ci ne partage pas l’avis selon lequel le dossier Brafaso était aux oubliettes. Parmi les actions qui ont été menées, il cite «le rachat par l’Etat de l’ensemble des créances de la société, y compris le compte courant d’associés du promoteur et aussi la signature avec le promoteur d’un accord d’acquisition des actifs par l’Etat en août 2014».
Après avoir agi pour désintéresser les créanciers de Brafaso et racheter les actifs, l’Etat est à ce jour le propriétaire exclusif de l’usine. Cette situation reste néanmoins à être consacrée par des formalités juridiques. Ce qui n’empêche pas que l’Etat puisse déjà engager les procédures pour le redémarrage de l’unité. L’évaluation des besoins de financement, qui a été faite en 2013, a fixé le budget du redémarrage de l’ensemble de l’usine à 15 milliards de F CFA. Selon le Brmn, ce montant prend en compte aussi bien la mise à niveau des équipements, l’achèvement des travaux de construction de la brasserie que le besoin en fonds de roulement initial.
Sauf mesure exceptionnelle, ces 15 milliards de F CFA ne sont pas inscrits dans le budget de l’Etat exercice 2015. C’est donc vers des sources extérieures qu’il faudra aller les chercher. Le plan de redémarrage prévoit que l’Etat puisse, «de préférence, s’attacher les services d’un partenaire technique et financier privé». Le niveau de prise de participation de ce dernier dépendra des négociations.
L’option des banques est envisagée, mais seulement en complément. «Il convient de signaler que pour une remise en activité de Brafaso, un délai de 5 mois est nécessaire pour la limonaderie et 10 mois pour la production de bière», précise le Coordonnateur Zerbo. Il estime, par ailleurs, que pour permettre une avancée significative du dossier Brafaso, il importe que son aspect judiciaire soit réglé par le Syndic, en relation avec le Juge commissaire.
Un léger travail de mise à niveau des équipements
Depuis 2008, l’usine est à l’arrêt. Avant un redémarrage de la production, les équipements nécessitent une remise à niveau technique. Un travail d’audit a été réalisé par les fournisseurs d’équipements, il y a plus d’un an. «Au niveau de la limonaderie, c’est tout ce qui est élément en plastique sur les machines qu’il faudra changer. Certains équipements électroniques sont également grippés du fait de leur arrêt. Mais globalement, on estime que les équipements sont de très bonne qualité. Ils devraient pouvoir être remis en route sans nécessiter un remplacement intégral des machines», indique Sylvanus Traoré.
«Pour ce qui est de la partie brasserie, il s’agit d’équipements en inox pour lesquels les questions de conservation ne se posent pas. Par contre là aussi, la question des pièces en plastique nécessite qu’on puisse les mettre à niveau. Ensuite, il y a le fait que dans la partie brasserie, tous les travaux n’étaient pas achevés. Il y a un certain nombre de travaux qu’il faut achever pour permettre véritablement de faire tourner l’unité», ajoute-t-il.
Dans le volet travaux supplémentaires au niveau de la brasserie, quelques installations complémentaires sont à faire. Les emballages personnalisés disponibles sont également insuffisants. Le génie civil reste à être terminé. Par ailleurs, le matériel de bureau, le matériel informatique et le matériel roulant ne sont pas encore acquis. Néanmoins, les experts du dossier sont très rassurants sur l’état et la qualité de l’outil technique de Brafaso.
Un dossier à rebondissements
Le nom Brafaso est intimement lié à celui de l’homme d’affaires Pangueba Mohammed Sogli, Pdg du Groupe Sopam. C’est lui le promoteur qui a installé l’usine en 2002.
L’unité de production comprend deux sections principales : une limonaderie et une brasserie. Selon les informations émanant des experts du dossier, la section boissons gazeuses et eau (limonaderie) a une capacité de 235.000 hectolitres/an. Elle a fonctionné de 2002 à 2008. La section bière (brasserie) a une capacité de 480.000 hectolitres/an. Son installation n’est pas complète et de ce fait elle n’a jamais fonctionné.
Pourtant, les premières bières avaient été, entre temps, annoncées pour juin 2010. L’arrêt des activités est intervenu bien avant.
L’unité de production est à l’arrêt depuis 2008. Officiellement, cet arrêt était lié au fait que le promoteur n’a pas pu réunir les financements complémentaires au fonctionnement de l’usine. Il s’est alors retrouvé dans une situation d’incertitudes, qui a poussé ses partenaires à arrêter leur collaboration et même à réclamer leurs mises.
Face à ces difficultés financières qui ont mis à mal la poursuite de son exploitation, la société Brafaso a été mise en liquidation judiciaire en août 2011 par la Cour d’Appel de Ouagadougou. Au nom du soutien au secteur privé, de la création et de la protection des emplois, l’Etat est intervenu pour désintéresser les créanciers et racheter les actifs, y compris le compte courant d’associés du promoteur. Les autres actions, qui ont été entreprises en vue du redémarrage de l’usine sont :
– la réalisation, courant 2012, du diagnostic stratégique et de l’audit des installations de la limonaderie et de la brasserie respectivement par Krones (partie allemande) et Lehui (partie chinoise);
– l’élaboration d’un dossier de demande de financement pour transmission aux banques commerciales de la place pour la mobilisation de 15 milliards de F CFA ;
– le démarrage des négociations commerciales avec les parties chinoise et allemande pour la réhabilitation et la mise en route respective de la brasserie et de la limonaderie: ces négociations avaient abouti en février 2013 à l’élaboration d’un projet de convention avec Lehui qui n’a pas été signé jusqu’au mois de juillet 2013 où le Gouvernement a décidé de trouver un partenaire technique et financier à même de s’investir dans le redémarrage de la société ;
– l’organisation de 2 visites des installations de la société par le Groupe Castel;
– la poursuite des négociations avec le Syndic liquidateur de la Société Brafaso afin de mettre en œuvre les diligences nécessaires à la clôture du processus de liquidation judiciaire de la société Brafaso;
– l’organisation de plusieurs rencontres avec le promoteur de la société Brafaso, avec pour objet de racheter l’unité ;
– la signature avec le promoteur d’un accord d’acquisition des actifs par l’Etat en août 2014.Karim GADIAGA