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Implémentation du budget-programme: les urgences selon Amina Billa

Amina Billa, économiste financier et productrice de l’émission Eco-finance. (DR)
Amina Billa, économiste financier et productrice de l’émission Eco-finance. (DR)

– L’Economiste du Faso : Le secrétariat technique du Comité de pilotage du budget-programme de l’Etat (St/Cpbpe), en collaboration avec l’Ecole nationale des régies financières (Enaref), vient d’achever une formation d’agents de l’Etat sur le budget-programme et la Gestion axée sur les résultats (Gar). Est-ce à dire que le Burkina n’est pas encore prêt à mettre en œuvre le budget-programme au 1er janvier 2017, alors qu’il nous est revenu que le Burkina, en termes de budget-programme, est une référence avérée pour les pays africains et principalement pour ceux de l’Afrique de l’Ouest ? 

Amina Billa, économiste financier et productrice de l’émission Eco-finance:
C’est vrai, cette formation 2014 qui a permis d’outiller 424 agents de tous les ministères et institutions avait pour objectif de constituer une masse critique d’acteurs maîtrisant le budget-programme, la Gar et le nouveau Cadre harmonisé des finances publiques (Chfp), pour faciliter sa mise en œuvre en 2017.
L’évaluation de la feuille de route d’implantation du budget-programme, adoptée en Conseil des ministres le 16 juin 2010, donne de réels motifs de satisfaction et le Burkina est assez confiant quant au respect de l’échéance communautaire. Toutefois, quelques défis restent à relever. Il s’agit de : i) la transposition des directives de Uemoa dans la législation nationale du Burkina ; ii) l’adaptation des systèmes d’information au budget-programme et iii) la nécessité de rendre la réforme des finances publiques globale (par une mise en place de la culture de performance dans toute l’administration publique). Mais le 1er demeure le défi majeur et très critique. C’est l’internalisation des directives Uemoa à bonne date.

– Vous avez eu à diriger le processus du budget-programme depuis décembre 2009. Pensez-vous que les acquis de ce processus pourraient être remis en cause par la crise politique actuelle ?
Nous l’avons toujours souligné lors de nos interventions, je crois que les techniciens ont jusqu’ aujourd’hui fait leur part de travail et en un temps assez record pour d’ailleurs hisser le Burkina comme une référence sûre en Afrique. Cela a été fait grâce à la volonté, à l’engagement et au soutien des autorités. C’est surtout d’elles que dépendra la suite et la finalisation de ce processus au Burkina.
Voyez-vous, le budget-programme a pour ambition d’amener les acteurs publics à «mieux dépenser afin que chaque F CFA dépensé soit le plus utile possible et plus efficace ». Cette approche oblige ainsi chacun des ministres et présidents d’institutions à toujours rechercher les résultats de développement pour le citoyen et à en rendre compte : résultats en termes d’amélioration de la qualité du service, de satisfaction des usagers, d’efficacité, d’efficience de l’action publique. Je crois que, plus que jamais, cette soif de résultats est instaurée par la crise politique que traverse notre pays.
A cet effet, essayons de faire le lien avec l’avènement de la gestion axée sur la performance aux Usa. En 1964, 76 % des Américains pensaient que le Gouvernement faisait convenablement ce qui devait être fait, alors qu’en 1992, ce chiffre n’était plus que de 25%. Avec l’arrivée de Clinton au pouvoir en novembre 1992 (réélu en novembre 1996), à un moment où la confiance au Gouvernement et aux institutions était au plus bas niveau (80% des Américains pensaient que le Gouvernement favorisait les riches et les puissants, alors qu’ils n’étaient que 29% à le penser 25 ans plus tôt), un effort de modernisation de l’administration fédérale a été enclenché avec la National performance review (Npr). La Npr reposait sur le slogan suivant : «Works better, costs less and gets results Americans care about» (travailler mieux, réduire les coûts et obtenir des résultats pour les Américains).
Dans ce même contexte, un cadre législatif visant la gestion de la performance a été voté en 1993 : le Gpra (Government performance results act) qui part du principe que les citoyens américains perdent confiance au gouvernement fédéral et à l’administration publique en raison du gaspillage des ressources financières publiques et du manque d’efficacité de leurs interventions.
Voyez-vous, une étude similaire au Burkina aboutirait aux mêmes constats et appellerait à des remèdes quasi-identiques. C’est pourquoi, nous pensons qu’il serait même urgent d’utiliser l’instrument budget-programme pour montrer à la population (en soif d’amélioration de ses conditions) un début de prise en compte de ses préoccupations. Aussi, il serait à mon humble avis impérieux de transposer les directives Uemoa dans la législation nationale du Burkina.

– Certains spécialistes proposent de garder l’ossature de l’ancien Gouvernement, tandis que d’autres proposent de réduire le nombre de ministres pour faire des économies. Votre point de vue de technicienne en économie et finances publiques?
Le changement de l’architecture du Gouvernement a toujours été un casse-tête pour les techniciens, surtout les budgétaires; tellement il faut tout reparamétrer dans le Circuit informatisé de la dépense (Cid) et surtout faire un autre arbitrage des crédits budgétaires.
Mais après tout, nous techniciens, nous disons aussi que c’est notre rôle de prendre en compte ou de matérialiser les stratégies des autorités en termes concrets et chiffrés, si fait que si cela devait arriver, les techniciens feront le travail et même dans le délai requis. La tâche s’en trouvera allégée dans le cas d’un regroupement de ministères. Il me semble que toutes les voix convergent vers ce resserrement du Gouvernement (cf charte et référence, une analyse faite dans le quotidien «Le Pays» n°5730 du mercredi 12 novembre 2014 qui aboutit à un Gouvernement de 17 membres).
Mais dans tous les cas, tout dépendra des missions qui seront confiées aux membres du Gouvernement, et cette précision sera faite par le 2e décret à signer par le chef de l’Etat: le décret portant attribution des membres du Gouvernement (après le 1er décret nommant le Premier ministre).

– Serait-il un Gouvernement juste formaté pour mettre en œuvre un budget presque arrêté et pour organiser les élections, ou un Gouvernement qui s’inscrit dans la mise en œuvre continue des actions de développement du Burkina ?
Il me semble que la 2e raison d’être de ce Gouvernement sera de convaincre.
Autrement, ce serait perçu comme une femme en grossesse à qui le stress des dépenses d’accouchement fait stopper certaines dépenses d’alimentation équilibrée, dans le seul but d’économiser les moyens pour la prise en charge de l’accouchement d’un bébé en bonne santé.
La position qui privilégie le maintien du schéma du Gouvernement actuel table sur la contrainte temps. Les arguments seraient que, sur le plan budgétaire, les conséquences seront que les ministères redimensionnés risquent de passer toute l’année 2015 à se réorganiser (adoption d’un nouvel organigramme, mise en cohérence des stratégies, des plans d’actions, etc.). Ainsi, le bilan de l’année risque de se limiter à de simples actions de réorganisation, qui pourraient être caduques dès la mise en place du Gouvernement en 2016.

– Mais faut-il suspendre la vie de l’Etat à cette phase transitoire seulement? L’Etat n’est–il pas omniprésent et intemporel ? Il a existé avant le 31 octobre 2014 et il existera après 2015, de même que les attentes des populations. De plus, en essayant de mettre en balance ce que l’on perd et ce que l’on gagne (s’il y a vraiment pertes en resserrant le Gouvernement), l’optique du resserrement des ministères s’impose-t-il maintenant ?
En rappel, le projet de loi de finances pour l’exécution du budget de l’Etat, gestion 2015, s’établissait en ressources à 1.720.201.475.000 F CFA (dont 1.376.310.000 de ressources propres) et à 1.936.906.195.000 F CFA en dépenses, avec un déficit de 216.704.720.000 F CFA.
Déduction faite des dépenses exigibles que sont la dette (135.530.000.000 F CFA), les salaires (469.214.720.000 F CFA) et des dépenses quasi-incompressibles de 352.700.000.000 FCFA représentant les transferts courants (constitués essentiellement de subventions allouées aux établissements publics de l’Etat), il restera au titre des recettes propres de l’Etat seulement 418.865.280.000 à affecter aux investissements et au fonctionnement de l’Etat.
Or, il était prévu des investissements sur ressources propres de l’Etat de 500 milliards F CFA pour espérer un niveau de croissance économique de 6,8% en 2015 et créer des emplois. Les seules dépenses à retoucher véritablement et en profondeur sont les dépenses de fonctionnement initialement prévues à 127.910.000.000 F CFA en 2015.
Alors, de notre point de vue, il est attendu qu’ensemble, le nouveau président, le Premier ministre et le ministre en charge des finances fassent un arbitrage du reliquat de ressources propres à allouer aux dépenses d’investissement et au fonctionnement de l’Etat (en partant alors sur un déficit budgétaire strictement égal à zéro, sans financement extérieur, et donc basé sur les propres capacités du Burkina à se développer).
Cependant, la difficulté surviendra si les recettes propres ne rentrent pas à la hauteur des enjeux du moment. Or, la réalisation du niveau projeté de 2015 des recettes propres semble hypothéquée et très compliquée, car il faudrait se retourner vers les 2 grandes sources de recettes et de devises dont le cours mondial ne cesse de tanguer.
Il s’agit de l’or jaune et de l’or blanc (le coton). Les projections pour 2015 indiquent que le cours de l’or jaune restera en déça de 1.400 dollars Us, alors qu’il était de 1.548,8 dollars Us l’once en 2013. A moins que cette baisse du prix (de la valeur) ne soit compensée par une hausse en volume ou en quantité de l’or.
Quant au cours mondial du coton, la projection pour 2015 indique un léger repli autour de 1.808 dollars Us la tonne, contre 1.936,0 dollars Us la tonne en 2014.
Tout ceci concourt au choix du resserrement du Gouvernement, dans l’optique de la réalisation d’économies à affecter aux investissements et, pourquoi pas, à la concrétisation de l’exécution des dépenses de transferts courants, voire même les dépenses en capital, comme les depenses de restructuration des entreprises.

– En tant que productrice de l’émission Eco-finance et économiste-financier, et au regard de l’impact que vous venez de dépeindre, qu’est-ce qui, selon vous, devrait retenir l’attention des nouvelles autorités dans l’immédiat ? Qu’est-ce qui urge ?
Je crois que tout urge en pareille situation. Mais si j’ai à les prioriser, j’afficherais d’abord ce sur quoi tous nos scenarii de programmation de budgétisation s’adossent. Je pense d’abord au côté ressources, avec l’apport de l’or. L’or jaune reste notre grand espoir. C’est notre poule aux œufs d’or, dirais-je. Il va falloir s’investir à maximiser le recouvrement total de toutes les recettes minières, en sécurisant l’exploitation et la production, mais en luttant fortement contre les fraudes sur l’or.
Je penserai au côté dépense ensuite. Il va falloir mieux dépenser en 2015 en assurant de meilleures réallocations interministérielles, mais aussi intra-ministères grâce à une bonne priorisation des dépenses (dépenser utile). Il s’agira de poursuivre vigoureusement la politique de rationalisation des charges courantes de l’administration à l’effet de dégager plus d’économies qui seront consacrées aux investissements dans des secteurs prioritaires.
Du côté de la dette ou du financement du budget : il serait important de rassurer les partenaires techniques et financiers extérieurs, gagner leur confiance afin de bénéficier de leur appui au développement du pays. Il ne faut pas se méprendre, ils sont des acteurs que nous, techniciens, en toute modestie, qualifions d’incontournables dans les actions développement de notre pays.
Le secteur privé demeurant la principale source de promotion de la croissance et de création d’emplois, l’Etat se doit de l’appuyer pour qu’il se relève (pour les entreprises réellement vandalisées et qui étaient en règle avec le fisc), mais aussi à entreprendre (nouvelles créations). Ainsi, les efforts prévus par le Gouvernement de soutenir les Pme/Pmi, et plus essentiellement celles intervenant dans la transformation avec création de valeur ajoutée, devront être maintenus.
Dans tous les cas, le plus urgent des urgences, à mon humble avis, est que le pays dispose d’un Gouvernement afin que les activités puissent véritablement reprendre dans le pays, avec leurs lots d’ajustements et de réajustements d’actions, et que les possibles manques de ressources internes puissent être comblés par des financements extérieurs.
Entretien réalisé par AT

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