L’onde de choc des manifestations de colère contre le régime de Blaise Compaoré a violemment retenti dans le milieu des affaires. Le projet de modification de l’article 37 de la Constitution a été l’élément déclencheur d’un ras-le-bol face à un ensemble de pratiques sur le plan politique, mais aussi sur le terrain social et surtout économique.
Une large partie de l’opinion ne s’accommodait pas, en effet, de la façon dont les affaires étaient gérées. Sa conviction est faite sur le fait que tout le business national est concentré autour du petit clan de la famille de l’ex-président et contrôlé notamment par son frère cadet, François Compaoré.
Nombre d’observateurs, y compris les petites gens, se sont fait leur certitude que dans le Burkina sous Compaoré, le précepte selon lequel «seul le travail paie» était une illusion. «L’économie, sous Blaise Compaoré, était enfermée dans un système monopolistique qui exclut tous ceux qui ne marquent pas leur allégeance au régime en l’exprimant de façon véhémente et même de façon arrogante parfois. Les appelés de ce système sont pour la plupart des prête-noms et ils étaient là pour servir les intérêts du clan et non le pays et ses populations», confie sous anonymat cet opérateur économique tombé entre-temps en disgrâce avec le régime Compaoré.
C’est cet entendement au sein de l’opinion qui a fait le lit d’une colère en grande partie enfouie, mais qui ne manquait pas de temps à temps d’être ruminée et de remonter à la surface, à l’occasion de certains accrochages avec l’autorité.
Le projet controversé de modification l’article 37 de la Constitution n’a fait qu’exacerber ce ressenti, qui lors des récentes manifestations a tourné à un règlement de comptes contre les entreprises et leurs patrons, suspectés d’appartenir au clan Compaoré. Pour les manifestants, les saccages et pillages des entreprises ou des domiciles de leurs responsables étaient juste une façon de se rendre justice. «Récupérer ce qu’on leur avait confisqué au fil des ans et détruire le reste afin qu’il ne soit plus profitable aux intéressés». C’est un peu la vision qui guidait certains d’entre eux, alors que beaucoup d’autres étaient tout simplement des délinquants profitant de la situation de désordre.
Pour l’instant, le bilan exhaustif et officiel de ces saccages et pillages n’est pas encore disponible. Outre les domiciles de dignitaires politiques de l’ancien régime, beaucoup d’autres domiciles de «bonzes du système» ont été visités par des jeunes insurgés le 30 octobre et surtout au cours de la nuit du 31 octobre et au 1er novembre. Plusieurs bandes de plus cinquante jeunes ont fait le tour des quartiers huppés. Munis d’essence et d’allumettes, prenant ce qui pouvait l’être avant de mettre le feu au domicile. Mais certains domiciles ont pu éviter ce sort radical grâce à la médiation spontanée de voisins ou même de manifestants. Dans la plaidoirie, il fallait clamer les distances entre l’accusé et le pouvoir agonisant et surtout ses générosités envers la société. Les domiciles de quelques chanceux ont pu ainsi être sauvés in extremis.
La colère des manifestants contre les entreprises a été très sélective. Seules celles appartenant aux dignitaires de l’ancien régime ou soupçonnées à tort ou à raison de l’être ont été visées par les mécontents. C’est un constat qui interpelle.
Aujourd’hui, il convient de tirer leçon de ce qui est arrivé au milieu des affaires. Il est vrai que personne n’avait véritablement imaginé et prévu une telle catastrophe, mais presque tout le monde savait, qu’avec les positions tranchées des uns et des autres face au projet de modification de l’article 37, le pays allait forcément entrer dans une phase d’incertitudes défavorables aux affaires.
De ce fait, les opérateurs économiques risquaient gros. Ils ont eu tort de n’avoir pas ou pas suffisamment donné de la voix pour prévenir le danger qu’ils encouraient. Beaucoup ont préféré esquiver le sujet en se réfugiant derrière le traditionnel discours selon lequel «dans les affaires, on ne parle pas de politique». Ils se sont donc gardés de s’exprimer. Malheureusement, une telle position alimentait les mauvais soupçons et leurs supposés soutiens aux comportements contestés du régime en place.
Le dicton est connu : «Qui ne dit rien consent». L’atmosphère était déjà en défaveur de beaucoup d’acteurs du milieu économique. Ne rien dire au prétexte que les affaires ne se mêlent pas de politique était dans ce cas un argument à charge contre ces opérateurs économiques soupçonnés d’être des vassaux et des suppôts du régime politique. Il fallait déconstruire cette mauvaise image, soit en se démarquant clairement du projet controversé, ou tout au moins en alertant l’opinion publique et les politiques sur ses risques pour le monde des entreprises.
Avec ce climat délétère, il fallait tenter d’expliquer chaque attitude ou chaque décision. C’est ce que n’a pas su faire Azalaï Hotel Indépendance, qui paie aujourd’hui un très lourd tribut suite à sa décision d’héberger les députés de l’ex-majorité favorables à la modification de l’article 37. C’est son métier certes d’héberger des clients, mais le risque était réel. Dans son rapport du 3 novembre sur la situation de ses membres, suite aux événements des 30 et 31 octobre, le Groupement professionnel des industriels (Gpi), également, semble reconnaître qu’il n’a pas été suffisamment prévoyant sur les risques. «Malgré les tensions perceptibles pendant la période, aucune concertation ne s’est tenue et les mesures de préventions qui pouvaient être envisagées n’ont pas été activées», souligne le rapport.
Dans les pays où le milieu des affaires est bien organisé, c’est lui qui impose sa volonté au milieu politique. Dans nos pays, c’est plutôt le contraire qui se passe.
Les affaires restent inféodées à la politique. Or, elles ont un caractère intemporel. Elles ne devraient pas subir les désidérata des régimes politiques, qui sont en principe limités dans le temps. Certes dans les affaires on ne parle pas de politique, mais ce milieu ne peut pas, non plus, être dans une indifférence totale face à la politique.
De la stabilité de l’environnement politique dépend le succès des affaires. Donc il faut savoir à un moment donner de la voix. A défaut de prendre position pour ou contre, il faut sensibiliser pour éviter le chaos. Il faut prévenir en adoptant des attitudes qui permettent d’être à l’abri du risque.o
Lourde sanction par défaut d’une bonne com.
Les entreprises au Burkina peinent encore à communiquer. Certains responsables, qui ignorent le sens de la communication, se contentent toujours d’affirmer que «les affaires n’aiment pas le bruit». Ils préfèrent vivre avec les préjugés et les rumeurs qui les concernent. Même si cette méthode semble leur réussir, il faut reconnaître qu’elle ne résiste pas à toute saison. C’est une méthode qui, dans la réalité, ne marche qu’en duo avec la peur suscitée par la puissance répressive des patrons d’entreprise. Elle devient tout de suite inefficace quand cette capacité de répression n’existe plus. Or, une bonne communication peut être un bouclier qui protège l’entreprise en toute circonstance. Mieux, elle lui assure un capital sympathie qui facilite son intégration, même dans les cercles marginaux.
Mais, il ne faut pas aussi se leurrer. La communication n’est pas la propagande. Elle n’est pas la publicité. Elle n’est pas la diversion comme on le voit souvent. La communication est d’abord une volonté d’expression de clarté et de transparence. Elle se décline selon plusieurs actes qui permettent à l’entreprise de s’adresser au public pour lui donner des informations, expliquer et démontrer sa philosophie. Soit pour se défendre ou dans le but de plaire. Il va de soi que dans cette perspective, l’appartenance à un cercle d’intérêt doit être clairement assumée et expliquée ou dans le cas contraire, être suffisamment démentie et démontrée. Quoi qu’il en soit, l’entreprise doit se montrer proche des intérêts et du bien-être de son public et de sa clientèle. Le public ne doit pas avoir l’impression que l’entreprise le « pille » pour servir des intérêts individuels ou claniques. La confiance et la courtoisie doivent être cultivées dans les relations avec l’extérieur. L’humilité est une valeur chère au peuple burkinabè. Malheureusement, beaucoup d’acteurs du monde des affaires pêchent encore par leur arrogance. En temps de révolte populaire, cela se paie cash.
4 entreprises du Gpi touchées
Côté entreprises, le Gpi (Groupement professionnel des industriels) a publié, le 3 novembre, un rapport sur la situation de ses membres suite aux événements des 30 et 31 octobre. Il en ressort que sur plus d’une trentaine d’entreprises affiliées à cette association professionnelle, seulement 4 sont touchées, mais très gravement. A Ouagadougou, les usines Tan Aliz, à la Zone du bois et à Kossodo, propriété de Alizèta Ouédraogo, belle-mère de François Compaoré, ont subi «d’importants dommages». Watam SA est également touchée. De nombreux dommages ont été constatés dans son usine de la Zone industrielle de Kossodo. «Des centaines de motos et une quantité importante de pièces et de lubrifiants emportées», selon le rapport du Gpi.
A Bobo-Dioulasso, les bureaux de la Sofib huilerie de El Hadj Barro Djanguinaba ont été saccagés et des documents brûlés. Même constat à l’imprimerie Iagb de Mamadou Barro, sise à Bobo-Dioulasso. Les machines de l’imprimerie ont néanmoins été épargnées. Il faut noter que ce nombre n’est pas exhaustif. Outre ces entreprises du Gpi, il y a d’autres entreprises et services touchés comme Coris Bank, les magasins de riz Kani’s, ceux du Catholic relief services.
Karim GADIAGA