De mémoire d’observateurs de la scène politique africaine, c’est l’une des rares fois que trois chefs d’Etat sont envoyés d’urgence dans un pays pour conduire une médiation. La crise burkinabè a réussi à mobiliser les présidents nigérian, ghanéen et sénégalais, qui ont dû revoir leur agenda pour faire le voyage de Ouagadougou, le 5 novembre.
Leur participation active vient en renfort des efforts déployés depuis le 31 octobre par les émissaires de l’Onu, de l’Union africaine et de la Cedeao, qui s’étaient entendu répéter que la transition politique au Burkina se préparait et qu’elle serait dirigée par un civil. Foi du Lieutenant-Colonel Yacouba Issac Zida. La Troïka des chefs d’Etat pensait peut-être que l’ultimatum de deux semaines brandi le 3 novembre par l’Ua enjoignant les militaires de quitter la tête du pays au plus tard le 17 novembre ferait bouger les lignes à la vitesse souhaitée par l’instance panafricaine. Certes, elles ont bougé, mais restent loin du but. L’horizon s’éclaircit cependant, reconnaissent tous les protagonistes.
L’espoir est conforté par les accords de toutes les parties quant à la levée immédiate de la suspension de la Constitution, permettant au Conseil constitutionnel de déclarer la vacance du pouvoir et d’annoncer le processus de la mise en place d’un Gouvernement de transition. Une mesure qui devrait être suivie de la nomination urgente par consensus d’une éminente personnalité civile pour présider la transition d’un an, avec le concours d’un Gouvernement.
A cette équipe reviendra la charge d’organiser des élections présidentielle et législatives d’ici novembre 2015. Pour éviter la chasse aux sorcières, l’on a aussi accepté le principe de garantir la sécurité de tous les Burkinabè, y compris les leaders politiques, les membres du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sortants, ainsi que la protection des droits des personnes et des biens.
Les militaires ont entrepris des consultations inclusives entre les leaders des partis politiques, les représentants de la société civile, les leaders religieux et traditionnels, ainsi que les forces armées nationales, afin d’arrêter la structure et la composition des organes de transition. C’est ce à quoi s’emploie Zida, qui assume, pour l’heure, les responsabilités de «chef de la transition et de chef de l’Etat». Il n’a cessé de réitérer sa méthode qui consiste à travailler « de manière consensuelle avec l’ensemble des partis politiques et des organisations de la société civile, pour convenir des contours et contenus d’une transition démocratique apaisée.»
Apaisée, le mot est revenu plusieurs fois dans les propos de l’homme en treillis, qui semble faire fi de la pression extérieure quand il déclarait le 6 novembre que l’ultimatum de l’Union n’engage qu’elle, même s’il compte malgré tout sur la communauté internationale, notamment africaine et sous-régionale, pour soutenir le peuple burkinabè dans ces dures épreuves. « Nous avons attendu l’Union africaine au moment où ils auraient pu véritablement nous témoigner leur fraternité et leur amitié, malheureusement ils n’ont pas été à cette hauteur et c’est regrettable. Comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, j’espère qu’ils saisiront cette chance », déclarait-il à la presse.
L’international semble faire preuve d’une grande compréhension dans la gestion du dossier Burkina. Plus de dix jours après la prise du pouvoir par les militaires, aucune sanction majeure n’a été prise à l’encontre du pays des Hommes intègres. La réunion extraordinaire de la Cedeao du 6 novembre tenue à Accra a montré ses attentes de voir cette semaine la conduite de la transition échoir aux civils.
Une éminente personnalité civile
La durée de la transition étant maintenant déterminée, c’est au pas de course que les choses devraient s’enclencher. Les organisations de la société civile, les partis d’opposition et de l’ex-majorité doivent surpasser les intérêts individuels, afin de s’entendre sur la mise en place de cet organe consensuel de transition, sur son organisation et son fonctionnement et surtout sur les pouvoirs qui lui seront confiés. Il y va du retour rapide à l’ordre constitutionnel. Les médiateurs locaux, à savoir les leaders d’opinion, détenteurs du pouvoir religieux et coutumier, appelés à constituer le Collège, proposeront le nom du chef de la transition, très probablement dans le courant de la semaine marquant la fin de l’ultimatum de l’Ua, après avoir auparavant aidé à parachever la Charte de la transition en discussion. L’atteinte de cet objectif commande qu’on ne fasse pas le lit à l’intolérance politique qui semble habiter certains leaders de l’opposition et de la société civile par leur refus de voir la participation de certains partis politiques de la majorité au dialogue. Ces derniers gagneraient également à faire publiquement leur mea culpa afin de faciliter leur inclusion dans les discussions. Le président en exercice de la Cedeao, le Ghanéen John Dramani Mahama, rappelle à ce propos que l’indispensable large consultation se doit d’être inclusive au point de donner le siège et la parole à l’ex-majorité présidentielle, fut-elle la principale responsable de la crise politico-sociale. Il invite tout le monde à surpasser les douleurs encore vives dans les cœurs non apaisés. C’est important, pour lui, d’inclure les responsables de la majorité présidentielle afin d’éviter toute décision unilatérale . Son opinion est partagée par l’homme fort du Burkina. « Nous ne pouvons pas avancer en laissant des fils du Burkina derrière nous. Nous sommes allés vers une solution consensuelle. Il est vrai qu’au Cdp, des responsables se sont illustrés négativement. Je déplore cela comme tous les Burkinabè, mais imaginez-vous qu’au fond des villages, il y a des hommes et des femmes qui étaient dans ce parti de bonne foi. Nous ne pouvons pas imaginer un consensus sans eux », conviction du Lieutenant-Colonel Zida, qui aura manifestement toute la peine du monde à faire entendre cette raison à l’opposition politique.
Christian KONE