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Situation nationale Transition à hauts risques

Blaise Compaoré, le 20 octobre 2014 arrivant à la célébration des 20 ans de l’Uemoa, était loin de s’imaginer que dix jours plus tard, il ne serait plus aux affaires. (Ph/ Yvan SAMA)
Blaise Compaoré, le 20 octobre 2014 arrivant à la célébration des 20 ans de l’Uemoa, était loin de s’imaginer que dix jours plus tard, il ne serait plus aux affaires. (Ph/ Yvan SAMA)

Il a fallu une journée et demie à l’insurrection populaire pour faire démissionner le président du Faso. La décision aura été difficile à prendre par le chef de l’Etat. Les événements se sont précipités. La pression de la rue, conjuguée à celle de la hiérarchie militaire, a eu raison de l’obstination de Blaise Compaoré à s’accrocher au pouvoir, qu’il promettait dans la nuit mouvementée du 30 octobre, de remettre à l’issue de l’élection présidentielle de novembre 2015 au président démocratiquement élu.

Son dernier communiqué publié le lendemain, annonçant sa démission et la vacance du pouvoir, s’appuie sur la Constitution. «Constatant la vacance du pouvoir ainsi créée et considérant l’urgence de sauvegarder la vie de la nation», le chef d’état-major des armées, le Général Honoré Nabéré Traoré, prend les devants et annonce vouloir gérer la transition et organiser des élections dans de brefs délais «conformément aux dispositions constitutionnelles». Mais, il n’aura pas réussi à convaincre le Régiment de sécurité présidentielle à se soumettre à son grade, fut-il le plus élévé.
Le Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida sort de l’ombre et rend caduques les ambitions du chef d’état-major général en s’imposant à la tête d’un organe de transition balbutiante, avec le soutien des principales «forces vives de la nation» et des force armées nationales. L’annonce de la mise en place d’un organe de transition avec les mêmes objectifs d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel est finalement clarifiée depuis le 1er novembre, suite à la reconnaissance par les principaux hauts gradés, le Général Traoré en premier.
Maintenant, s’ouvre une transition dont la forme et la durée restent à définir dans les prochains jours. L’organe de transition à composer va-t-il aller dans le sens de ce que prévoit l’article 43 de la Constitution en termes de vacances du pouvoir, en organisant l’élection du nouveau président dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus ? C’est ce que souhaitent certaines composantes de l’opposition politique qui se méfient de la bonne foi des militaires en poste et réclament une transition dirigée par des civils.
Il va falloir concilier des positions pas toujours proches.
La Constitution étant suspendue par le Lieutenant-Colonel Zida, tout le pouvoir était encore entre les mains des militaires dimanche 2 novembre. L’issue heureuse de ce processus de transition enclenchée dépendra fortement des négociations qu’il entreprendra avec les leaders politiques regroupés au sein du Chef de file de l’opposition politique, en termes de convergence de vues, pour l’intérêt suprême de la Nation pour laquelle tous les protagonistes semblent fortement se préoccuper.
Le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, ancien président de la Commission de la Cedeao, aujourd’hui représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies en Afrique de l’Ouest, dépêché à Ouagadougou pour conduire la médiation entre les protagonistes de la crise politico-sociale en cours, pourrait aider à rapprocher les positions. À lui, sont associés des émissaires de l’Union africaine (Ua) et ceux de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
L’Onu et l’Ua, profondément préoccupées face à la situation au Burkina Faso, souhaitent que toutes les parties concernées concourent au calme. La démission «volontaire» du président du Faso et la reconnaissance du pouvoir du Lieutenant-Colonel Zida par les forces militaires et certaines organisations de la société civile faciliteront la tâche aux médiateurs qui réitéraient récemment leur attachement à la nécessité de respecter les principes de démocratie et de gouvernance constitutionnelle.
La Cedeao rappelait qu’elle ne reconnaitra aucune accession au pouvoir par des voies non constitutionnelles. Elle pourrait néanmoins tordre le coup à ce principe au regard de l’urgence du compromis qui permettrait de remettre le pays en ordre de marche. Les militaires sont donc sous surveillance.
L’urgence concerne aussi le rétablissement de l’ordre et de la quiétude. La désobéissance civile lancée depuis le 28 octobre, suite à la marche historique animée par des centaines de milliers de protestataires, a pris d’autres tournures, avec les pillages et les incendies des biens privés et publics orchestrés dans les principales villes du pays, malgré la condamnation de ces actes par les leaders de l’opposition et ceux de la société civile.


 

Leaders coutumiers et religieux en renfort

La cour royale du Moro-Naba, chef suprême des Mossi, n’a pas désempli le 30 octobre, après la furie des manifestants sur les symboles du pouvoir. Plusieurs responsables politiques, ainsi que des hauts gradés y ont été reçus par l’homme coutumier. Ainsi le lieu a fait office de centre de la médiation locale. Il a joué ce rôle dans presque toutes les crises que le pays a connues. Des manifestations populaires consécutives à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo à la mutinerie d’avril 2011 qui ont failli emporter le régime de Compaoré, le Moro-Naba a contribué à l’apaisement des jusqu’au-boutistes. A-t-il une marge de manœuvre dans cette crise ?
Difficile de répondre par l’affirmative. Les religieux aussi pourraient être appelés à la rescousse. L’église catholique avait déjà, dans une lettre pastorale, attiré l’attention sur une situation qui fait craindre que le Burkina Faso ne devienne une poudrière sociale, si rien n’est fait pour conjurer ce danger. On peut croire que dans ce contexte d’incertitude, le Cardinal Philipe Ouédraogo apporte sa contribution à la recherche de la paix et de la stabilité politique.

De la vacance du pouvoir selon la Constitution

Article 43 : Lorsque le président du Faso est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre. En cas de vacance de la présidence du Faso pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement, les fonctions du président du Faso sont exercées par le président du Sénat. Il est procédé à l’élection d’un nouveau président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau président a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement.

Le Pays des Hommes intègres prend un coup

Avant les derniers événements, au plan de la stabilité politique, le Burkina Faso était reconnu comme étant l’un des pays les plus stables en Afrique depuis des décennies. Les institutions républicaines fonctionnaient normalement, des élections étaient organisées dans les délais constitutionnels, la liberté de presse assurée, les droits de l’homme étaient relativement respectés, les manifestations publiques se déroulaient sans grands grabuges. Les interrogations sur la situation politique au regard des évolutions récentes autour de la conduite de la transition devant aboutir au retour des civils au pouvoir déteignent sur la bonne image du pays des Hommes intègres. Aujourd’hui, avec un régime militaire aux commandes d’un pays en état de siège, il est évident que tout investisseur pour qui la stabilité politique et la sécurité sont des questions fondamentales hésiterait fortement à prendre une décision d’investir au Burkina.

Christian KONE

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