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Agence du don en nature : Acteur majeur de l’innovation sociale

image2Demander-donner-recevoir-rendre, cette mécanique du don/contre-don a été révélée comme la clé de l’efficacité en entreprise par le sociologue Norbert Alter (Donner et prendre, la coopération en entreprise, éd. La Découverte) en opposition au cycle ignorer-prendre-refuser-garder. Dans «La révolution du don», que viennent de publier les éditions du Seuil, Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy poursuivent l’analyse du don comme «ressort caché» du bon fonctionnement de toute organisation humaine.
En lançant il y a cinq ans, l’Agence du don en nature (ADN), Jacques-Etienne de T’Serclaes et Stéphanie Goujon ont élargi cette théorie au fonctionnement du marché en inventant un business modèle spécifique. Leur entreprise surfe depuis de succès en succès : les premières années, la valeur marchande des dons recueillis était de 1 à 3 millions d’euros par an ; elle est désormais de 18 millions d’euros par an.
Comment ça marche ? ADN collecte auprès des entreprises des produits invendus voués à la destruction pour toute sorte de raisons : des fins de stocks, des emballages abîmés, etc… «Les fabricants et les commerçants détruisent chaque année 600 millions d’euros de produits neufs non alimentaires», indique l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
Les entreprises donatrices ont d’abord été grandes, comme Procter & Gamble, L’Oréal, puis moins grandes comme Seb pour l’électroménager. Les dernières arrivées, en 2014, sont Leroy-Merlin (meubles, chauffage) et Célio (habillement). ADN compte aujourd’hui une centaine d’entreprises partenaires.
Ce n’est pas le pays des «bisounours» : en donnant leurs produits, les entreprises reçoivent à leur tour. Elles bénéficient d’un crédit d’impôt. Elles optimisent ainsi doublement leurs pertes, puisqu’elles recyclent des produits voués à la destruction. Elles en contrôlent la destination et évitent, du même coup, que les invendus finissent sur des marchés parallèles. Enfin, ce «don» se retrouve à la fois dans leur bilan «Responsabilité sociale et environnementale» et dans leur image auprès de la société.
Grâce à ces fournisseurs fidèles et de plus en plus nombreux, l’Agence du don en nature «redonne» à son tour en distribuant chaque année des produits d’usage courant (produits d’entretien, d’hygiène, de bien-être, matériel scolaire, bricolage, vêtements, etc..), toujours non alimentaires, à 600.000 personnes. «8,7 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté», souligne Stéphanie Goujon, la déléguée générale de l’Agence du don en nature. Il va sans dire qu’ils n’ont pas seulement besoin de manger. La demande provient des étudiants, des familles démunies, soit de tous les clients des épiceries sociales qui, eux, payent les produits.
Les prix pratiqués sont toutefois bien inférieurs à ceux du marché. La clientèle achète les produits entre 10 % et 20 % du prix usuel. «En moyenne dans les épiceries solidaires les prix varient entre 10 % et 30 % du prix du marché, mais ADN suggère un prix de vente plafond», explique la direction d’ANDES, l’Association nationale de développement des épiceries solidaires. ADN regrette que les produits ne puissent pas être gratuits, mais de nombreuses entreprises sociales considèrent que le fait de payer le produit permet de marquer la différence entre la solidarité et l’assistance. «Question de dignité», disent-ils !
Les associations achètent les produits 5 % du prix de vente moyen de la grande distribution, ce qui finance les 7 salariés d’ADN et les frais de logistique de l’entreprise.  L’entrepôt de l’Agence du don en nature est implanté dans le Loiret «pour rayonner plus facilement sur toute la France». La distribution s’appuie sur un réseau de 550 associations investies dans la lutte contre l’exclusion. Les plus connues sont l’Armée du salut, Emmaüs, le Secours populaire, mais il y a aussi de toutes petites structures, à l’instar de La cravate solidaire à Paris ou Deux mains ensemble, à Douai dans le Nord-Pas-de-Calais. Pour changer d’échelle, l’aventure de l’Agence du don en nature n’a plus qu’à faire des émules. «Quand les entreprises sociales pionnières proposent des réponses novatrices à des problèmes sociaux ou sociétaux, les politiques publiques constituent souvent dans un second temps, un canal majeur de diffusion de l’innovation sociale», expliquent Jacques Defourny et Marthe Nyssens (Entreprise sociale et insertion, une perspective internationale, éd. Desclée de Brouwer). En juin, ADN a été sélectionnée pour représenter l’innovation sociale en France dans le cadre «la France s’engage». C’est peut- être un début.
Anne Rodier

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