• Une technique de l’ONG Tiipaalga (nouvel arbre en Mooré)
• En réponse à la désertification et la dégradation des terres
• Des résultats palpables et aussi des obstacles à surmonter
Le Burkina Faso a signé la convention de l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte (APGMV) en 2010 et l’a ratifiée le 22 mai 2015. L’initiative couvre 5 régions, 19 provinces, sur une superficie de 128.064 km² avec 7.886.609 habitants. A terme, elle devrait contribuer à la réduction de l’érosion hydrique, l’accroissement des rendements agrosylvopastoraux et l’amélioration de la biodiversité avec le retour de la végétation herbacée et ligneuse. Pour y arriver, plusieurs partenaires ont été sollicités, parmi lesquels, l’ONG Tiipaalga (nouvel arbre en Mooré), avec sa technique de “ mise en défens (MED)”.
« Lorsque l’initiative a commencé à s’étendre, nous avons été approchés en 2015 à cause de notre expertise dans la « mise en défens », précise T. Serges Zoubga, chargé de programme à Tiipaalga et point focal Grande muraille verte dans l’organisation. L’objectif global de Tiipaalga depuis sa création en 2006 est de contribuer à restaurer et exploiter durablement les écosystèmes pour améliorer les conditions de vie des ménages en milieu rural au Burkina Faso. Ses programmes portent sur la récupération des terres dégradées, la valorisation des produits forestiers non ligneux (PFNL) et la diffusion des foyers trois pierres améliorés (F3PA).
Un rideau d’arbres
Barma, Commune de Laye, dans la région du Plateau central. Le début d’hivernage est perceptible dans ce village. Les labours ont débarrassé les terres des mauvaises herbes et à leur place sortent du sol, des semis de différentes spéculations. La vue est dégagée.
D’une concession à une autre, on arrive à percevoir les mouvements, malgré la centaine de mètres qui les sépare souvent. Dans cet univers « transparent », tout regard ne peut que buter sur un espace boisé à la lisière de toutes les concessions : un site de 3,04 ha clôturé à l’aide d’un grillage où la densité des arbres rivalise avec le nombre des espèces. A l’intérieur, les adeptes de la botanique ou de la dendrologie trouveront leurs comptes. Des arbres comme le kapokier ou le detarium, propres à la brousse, trônent admirablement sur les lieux. Il s’agit d’une « mise en défens ». Roger Kaboré, un sexagénaire, exploite ce site avec son épouse et ses six enfants depuis 2011. « A la clôture du site, il y avait déjà des arbres mais pas assez nombreux comme aujourd’hui », indique-t-il. Pour contribuer à la recomposition de la flore, Roger se rappelle avoir mis en terre au moins 50 tamariniers, 80 baobabs, 40 detarium, une centaine de karités… Sur cette partie du territoire située à une vingtaine de kilomètres au nord de Ouagadougou, la capitale burkinabè, les différents acteurs ont réussi à constituer un îlot de verdure dans une zone où la pression foncière et surtout la promotion immobilière gagnent du terrain.
A quoi répond le principe ?
La « mise en défens » est donc un ensemble de techniques mises en œuvre dans un espace défini, en vue de sa protection et de sa régénération. En d’autres termes, elle est la protection d’un terroir ou d’une parcelle contre l’homme et/ou les animaux domestiques (pâturage, feu de brousse, coupe de bois, etc.). Cette méthode s’applique dans les périmètres de restauration, les bois et bosquets sacrés, les forêts villageoises. Par ailleurs, l’installation d’une « mise en défens » requiert un processus plus ou moins long de négociation avec les communautés riveraines de la zone à protéger. Ainsi, Tiipaalga a expliqué aux communautés de Barma les conditions de partenariat et la durabilité des investissements avant de les sensibiliser à formaliser la collaboration. Une fois le partenariat signé, les travaux démarrent avec l’aménagement du site et la gestion durable, impliquant tous les membres de la famille (épouses et enfants) avant la défense et restauration des sols, (DRS)/conservation des eaux et des sols (CES).
Par ailleurs, l’agriculture se fait de façon durable, en associant les arbres et les cultures (agroforesterie) sur une bande périmétrale de 12m, soit 25% de la parcelle, en attendant l’apparition des produits forestiers à long terme. « Le ministère de l’Environnement pratiquait la mise en défens, certes, mais nous l’avons améliorée en matérialisant la variante clôture, en posant du grillage sur tous les sites. Et pour éviter les vols, nous avons imaginé un grillage qu’on tisse sur place, difficilement utilisable ailleurs », explique M. Zoubga. Pour le matériel et l’aménagement, l’ONG débourse 1.200.000 FCFA. La contrepartie du bénéficiaire, répartie en agrégat et à la main d’œuvre, est estimée à 300.000 FCFA.
Dans la mise en œuvre de son programme, Tiipaalga a réalisé au total 423 « mises en défens », soit l’équivalent de 1.219 ha, répartis dans 7 régions administratives où intervient l’ONG : Sahel, Plateau central, Centre-Ouest, Centre, Centre-Nord, Nord, Centre-Sud) et 10 provinces (Soum, Kourwéogo, Oubritenga, Ganzourgou, Boulkiemdé, Kadiogo, Bam, Loroum, Zoundwéogo et Nahouri).
Du tout bénéf
Demandez à Roger Kaboré si son site lui est profitable et il vous rétorquera, sourire aux lèvres, que : « depuis que nous avons clôturé le site, le protégeant des animaux et des actions sauvages des hommes, nous profitons largement des retombées ». Pouvait-il en être autrement? Car la « mise en défens » du noyau, prônée par Tiipaalga, correspond à 75 % de la forêt comprenant la pratique et l’exploitation sylvopastorale; la valorisation des produits forestiers non ligneux (PFNL) par la production et les plantations de plants d’espèces utilitaires dans les parcelles sécurisées ; la réalisation de haies vives défensives pour renforcer la clôture ; la mise en terre de 100.000 plants en moyenne chaque année et la rétribution annuelle de plus de 15 millions FCFA aux pépiniéristes villageois depuis 2015. « Nous formons les bénéficiaires à considérer leurs sites comme des unités économiques sur lesquelles ils doivent mettre tous les efforts pour tirer profit au maximum », a insisté Serge Zoubga, point focal Grande muraille verte à l’ONG Tiipaalga.
Si Roger arrive à prendre soin de sa maisonnée, à envoyer ses enfants à l’école et acheter des motos à certains proches, c’est parce qu’il a bien assimilé les conseils de l’ONG pour son site. L’exploitation de son terrain uniquement pour l’agriculture ne lui aurait pas permis de tirer autant de bénéfices. «Financièrement, nous tirons notre compte. Rien qu’en fauchant le foin pour vendre aux éleveurs, je peux gagner entre 1 million et 1,2 million FCFA. Chaque année, on arrive à produire une centaine de nattes avec la paille qu’on écoule à 2.500 l’unité. Les karités produisent en moyenne 160 plats de noix vendus sur le marché à 600 l’unité », avoue le sexagénaire. En outre, les feuilles de baobab et de kapok sont régulièrement utilisées dans la gastronomie burkinabè ou encore les racines et écorces servent de remèdes contre de nombreux maux. Sur le plan écologique et restauration de la biodiversité, l’action de Tiipaalga a permis la protection de 423 bosquets familiaux (mises en défens) dans 217 villages ; la récupération de 1.219 ha de terres dégradées ; la régénération d’environ 600.000 arbres de 160 espèces locales, le retour de la petite faune : écureuil, lièvre, francolin. En matière de contribution aux revenus des ménages, 116 apiculteurs arrivent désormais à produire en moyenne annuelle 2 tonnes de miel, et 284.052 t de fourrage naturel sont aussi produites pour l’alimentation du bétail.
Des écueils tout de même
Malgré les résultats palpables de la « mise en défens », on note des obstacles sans lesquels la méthode serait plus profitable à l’ensemble des acteurs. Pour Roger, l’indisponibilité de l’eau sur son terrain limite donc son champ d’action. « Jusque-là, on ne compte que sur les pluies. Mon site est à 5 km de l’eau, donc c’est difficile d’aller puiser de l’eau et parcourir cette distance pour venir arroser des arbres. Avec un forage, on pourrait arroser les arbres pendant la saison sèche et même en ajouter d’autres », précise-t-il. Dans la mise en œuvre de la technique de MED, l’ONG Tiipaalga a relevé le non-respect du cahier des charges par certains partenaires des parcelles, la quasi-absence de structures d’accompagnement des entreprises forestières, l’intégration insuffisante des systèmes agrosylvopastorales, les problèmes fonciers, le faible niveau de développement de l’esprit entrepreneurial pour faire des MED de véritables unités économiques….
Des écueils que Serge Zoubga résume en ces termes : « Nous travaillons pour la restauration du couvert végétal, des gens viennent s’inscrire dans cette dynamique mais vont faire autre chose. Avec la spéculation foncière, certains n’hésitent pas à vendre leurs terrains. La transmission des terres après le décès du principal bénéficiaire, même nous, nous ne l’avons pas préparée. Le site n’est pas détruit, il est fermé et on ne l’exploite pas».
Les moyens d’accompagnement des communautés sont à rendre plus consistants et la mise à l’échelle des bonnes pratiques pour des impacts socioéconomiques et écologiques plus importants et à la hauteur des défis à relever.o
Enquête réalisée par Moumouni Simporé, avec le soutien de la CENOZO, dans le cadre du projet «Renforcer le journalisme de solutions sur la santé et le développement durable»
Encadré
Des efforts aussi perceptibles au Sénégal et au Niger
La première phase du projet de la Grande muraille verte, au Sénégal, a porté essentiellement sur la neutralité des terres, le renforcement du taux de couverture végétale, l’amélioration de la productivité agricole et l’augmentation de la séquestration de carbone de 2008 à 2010. Le reboisement a permis la production de 10 grandes pépinières dans l’est du Sénégal, à l’image de la Commune de Tessékéré, dans le département de Linguére, région de Louga. « On a impacté 2 millions 400.000 habitants, les premières années, la GMV a été mise en œuvre au niveau des 16 Communes. En 2023, nous sommes passés de 16 Communes avec 8.175 km² couvert à 131 Communes et on couvre 95.000 km², impactant 2,5 millions de populations », précise le Colonel Gora Diop, Directeur de la Grande muraille verte du Sénégal.
Au Niger, l’objectif est de restaurer 3 millions et demi d’hectares de terre, soit 1/3, du territoire, le tout sur un tracé de 1.500 km, répartis en 8 régions et 229 Communes, avec un effort de financement de l’Etat de 1 milliard 200 millions FCFA. Ce programme sahélien s’illustre par le reboisement, l’agroforesterie, la production de paille, les jardins nutritifs…. Plus de 276.880 M² de terre ont été reboisés de 2016 à 2020. Sur le plan économique, 13 milliards 799 millions 300 ont été distribués dans les villages concernés, une bonne régénération naturelle s’est opérée sur certains sites et le nombre de certaines espèces comme l’Aristide pallida et pergularia tomentosa a même augmenté. La région de Simiri, dans le Ouallam, est devenue un véritable plateau vert, et figure parmi les exemples de transformation d’un milieu aride en une sorte de paradis vert où la biodiversité refait surface.
D’une manière générale, le futur de la Grande muraille verte tourne désormais autour de la sélection végétale et de la manière dont l’Afrique pourrait capter une plus grande partie du marché des produits biologiques et également de celui des cosmétiques, estimé à 240 milliards de dollars. Selon un rapport commandé par le World Economic Forum, 9 des plantes sélectionnées pour leur résistance au stress hydrique le long de la Grande muraille verte offrent un potentiel économique important dont il faut développer la chaîne de valeur. On y trouve, notamment, l’Acacia sénégalais – dont on extrait la gomme arabique –, le baobab d’Afrique, le dattier du désert, le moringa et le karité.