• L’Etat interdit l’importation et suspend la délivrance des ASI
• Une réponse à un désordre observé depuis quelques années
• « Une décision attendue depuis fort longtemps », selon les minoteries
Par un communiqué du ministère en charge du commerce en date du 08 avril 2024, le gouvernement burkinabè rendait publique sa décision de « suspension temporaire de l’importation de la farine de blé sur toute l’étendue du territoire national ». L’importation de la farine de blé étant soumise à une Autorisation spéciale d’importation (ASI), la délivrance des ASI de la farine de blé a été aussi suspendue. Le ministre Serges Poda a aussi précisé qu’il fallait inscrire cette décision dans « le cadre de l’assainissement du marché des produits de grande consommation » et a mis en garde tout contrevenant qui, selon lui, « s’expose à des sanctions, conformément à la règlementation en vigueur ».
Cette action du gouvernement est peut-être une réaction. En 2020, L’Economiste du Faso alertait sur un désordre apparu sur le marché de la farine de blé. Attiré à l’époque par des prix à la tonne relativement bas par rapport aux prix standards sur le marché local de la tonne vendue à Ouagadougou, nous écrivions que : « Depuis quelques mois, le marché burkinabè est inondé de farine de blé. Plusieurs emballages sont concernés. Leur particularité : le prix. Vendue sur la place de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, la tonne est négociée entre 315.000 FCFA et 335.000 FCFA, en deçà du prix habituel, au grand bonheur des boulangeries qui ont vite fait de changer de fournisseurs. Alors que le prix standard tournait autour de 360.000 FCFA/T.
Le hic, c’est que des voix commencent à s’interroger sur l’origine de cette farine bon marché. Est-ce une farine d’origine communautaire ou pas ? A quelle position tarifaire cette farine a-t-elle été dédouanée pour être vendue à si bas prix, au point de mettre en péril la survie de quelques rares unités de production locales, sachant que le prix de vente de la farine produite locale tourne autour de 345.000 FCFA/T. Cette situation repose la question des autorisations spéciales d’importer (ASI) que le ministère en charge du commerce tente de réguler pour préserver le marché local ».
Si pour le moment, nos démarches pour la réactualisation des données auprès du ministère du Commerce sont infructueuses jusque-là, nos recherches antérieures permettent de confirmer que l’ASI est valable pour la farine et pour un certain nombre de catégories de produits, conformément au Décret N° 2018-0860/PRES/PM/MCIA/MINEFID fixant la liste des produits soumis à autorisation spéciale d’importation et autorisation spéciale d’exportation. Mais, en 2020, on estimait que la production nationale était loin de satisfaire les besoins nationaux avec seulement trois unités de production. Il n’y avait donc pas de dispositions de contingentement qui régulaient les importations de la farine de blé en lien avec le disponible de la production nationale.
Ce qui n’était pas le cas pour le sucre et l’huile. Le constat au niveau des chiffres disponibles au guichet unique du commerce, à l’époque, fait état d’une hausse des importations de farine de blé. En 2019, le pays a importé 83.446 tonnes, contre 107.443 tonnes à deux mois de la fin de l’année 2020, soit plus de 20% de hausse. Autre constat que permettent de faire les statistiques mises à notre disposition par les services de la DGU du Commerce, 2020 voit une percée des importations d’origine turque, avec 7.073 tonnes, contre seulement 538 tonnes en 2019.
Aujourd’hui, les choses ont changé, la production nationale aussi. « Les minoteries locales au Burkina Faso peuvent produire pratiquement deux fois la production nationale. Les cinq minoteries existantes ont une capacité d’ecrasement de 1.500 tonnes par jour. Il y a deux autres minoteries en construction pour une capacité de 400 tonnes par jour. Le tout fait donc 1900 tonnes par jour, alors que le Burkina Faso ne consomme pas plus de 800 tonnes de farine par jour. La farine qui est produite ici n’a rien à envier à celle des minoteries de l’etranger.», assure Rimon Hajjar, président de l’Association des minoteries du Burkina Faso. Est-ce cette nouvelle donne qui les a poussés à mettre la préssion sur l’Etat pour avoir cette interdiction ?
« Nous n’avons incité personne. Nous avons seulement demandé au gouvernement d’investiguer et de prendre la décisison souveraine qui lui revient», retorque-t-il. Tout en se rejouissant de la décision, il reste persuadé qu’elle va encourager les investisseurs qui veulent venir au Burkina, parce que le gouvernement protège la production locale. Quelles autres mesures faut-il pour assainir davantage le secteur ? Monsieur Hajjar tient à ce que l’Etat s’assume. « Nous n’avons pas de directives à donner au gouvernement, mais quand une marchandise est interdite, elle est prohibée, on ne doit pas la retrouver sur le marché », affirme-t-il.
Moumouni SIMPORE
Encadré
Trois hypothèses sur la présence de farine bon marché au Burkina
1re hypothèse : Le prix du blé est à la baisse sur le marché mondial, de ce fait, nos importateurs ont répercuté cette baisse. Cette hypothèse ne tient pas la route, dans la mesure où les cours sont en hausse, sinon stables ces derniers mois où la demande reste soutenue, selon les spécialistes du secteur. La Russie, grande productrice, a d’ailleurs mis des taxes supplémentaires à l’export, afin de préserver son marché.
2e hypothèse : Les taxes en interne ont baissé. Ce qui n’est pas encore le cas ; puisque le cordon douanier de l’UEMOA est toujours en vigueur. Celui-ci protège les produits communautaires et taxe plus chèrement les produits hors zone, soit à 47% de la base taxable. Notre confrère de Le Reporter évalue la tonne rendue au port le plus proche à 240.000 FCFA. Si on y ajoute les frais de transport, le transit, le contrôle sanitaire et la marge du commerçant qui ne doit pas dépasser 12%. Les prix actuels cacheraient des non-dits.
3e hypothèse : Les importations concernées seraient de vieux stocks soldés. Donc à des prix défiant toute concurrence. Ce qui n’est pas sans susciter des craintes quant à la qualité, si tel était vraiment le cas.o