• Situation sécuritaire et coût élevé du fil local
• Ces raisons qui expliquent la morosité du marché
• Des solutions pour tirer le meilleur du marché
Pas de temps à perdre. A quelques jours de la commémoration de la Journée internationale des droits de la Femme, Alizeta Tapsoba est au four au moulin. Le temps de cette tisseuse de pagnes Faso Dan Fani lui parait assez précieux. Dame Alizèta doit honorer plus de rendez-vous que d’ordinaire. Quelques semaines plus tôt, c’est quasiment sans pression qu’elle occupait ses journées de travail. Mais depuis que les autorités ont décidé de faire du Faso Dan Fani les pagnes officiels da la commémoration du 8-Mars, il faut hâter…la pédale de son métier à tisser. « C’est une opportunité à saisir pour nous tisseuses et c’est à nous de travailler de sorte à satisfaire toute demande de la clientèle », se convainc Alizèta Tapsoba, d’une mine souriante.
Dans un communiqué conjoint en date du 15 janvier dernier, les ministères du Genre, du Commerce et des Finances déclaraient, en effet, le kôkô donda et le Faso dan fani pagnes officiels de la commémoration 2024. Par ce même communiqué, le gouvernement interdisait l’importation, la commercialisation et la distribution à titre gratuit des pagnes industriels estampillés avec le thème et le logo retenus pour la commémoration. Des mesures, qui, selon les autorités, s’inscrivent dans la dynamique de promouvoir les produits nationaux à travers le « consommons local ».
Comme un coup de pouce du gouvernement au sous-secteur du pagne tissé
Il n’a pas fallu plus ces mesures gouvernementales pour susciter de grands espoirs chez les acteurs du pagne tissé. En effet, beaucoup y ont vu l’opportunité de tirer le meilleur du marché du Faso dan fani. Mais qu’en est-il réellement ?
Pour Alizèta Tapsoba, la décision gouvernementale a produit de l’effet. Celle qui totalise 11 années dans le tissage du pagne ne croit pas si bien dire. Son atelier de fortune installé juste à l’entrée du domicile familial, fonctionne à plein régime, à quelques jours du 8-Mars. « Je ne suis certes pas submergée par la demande mais je reçois plus de commandes que d’habitude », nous a confié dame Tapsoba, à une semaine de la commémoration, mais en se gardant de dévoiler des chiffres.
Si certains semblent se frotter les mains, beaucoup estiment que l’affluence de la clientèle est à relativiser. Tant, l’impact sur le marché de la décision gouvernementale d’officialiser le pagne local n’est pas à la hauteur des attentes. Cette perception semble fonction du niveau d’investissement dans le secteur du Faso dan Fani. Faso confection bayir kudemdé, peut en être l’illustration. Cette entreprise est spécialisée dans la collection de pagnes tissés et de confection de tenues à base de ces pagnes. Rachid Dima, l’un de ses responsables, s’attendait à voir les clients se bousculer dans les ateliers et showrooms de la chaîne de couture et de collection. « Les choses ne bougent pas comme on l’aurait souhaité. C’est un peu lent par rapport aux années précédentes », confie-t-il, en nous faisant remarquer des piles de pagnes dans les étagères de sa boutique. A en croire monsieur Dima, L’affluence n’a pas augmenté de façon sensible. « La majorité des clients qui se présentent à nous, restent ceux qui veulent s’offrir de quoi s’habiller pour des cérémonies autres que le 8-Mars, notamment les mariages et baptêmes », explique-t-il.
Des raisons multiples qui expliquent une morosité du marché
Mais à quoi est due cette morosité ? A écouter les acteurs du domaine, les explications sont légion. Mais en première ligne, beaucoup pointent du doigt une situation sécuritaire du pays qui ne favorise pas un dynamisme du marché. En dehors de ce constat, Rachid Dima constate que l’engouement autour du Faso dan fani est en pleine croissance mais l’intérêt pour les pagnes du 8-Mars est particulièrement en baisse. La raison ? « Beaucoup se disent qu’après la commémoration, ils n’en ont plus que faire du pagne. Elles sont nombreuses à préférer des pagnes tissés qui n’ont aucun rapport avec cette journée en se disant qu’après la célébration elles peuvent continuer à les utiliser de façon singulière. Parce qu’il faut reconnaître que beaucoup n’aiment pas porter les mêmes habits que tout le monde », explique le collectionneur.
Preuve à l’appui, Rachid Kiema nous a sorti des pagnes estampillés des célébrations passées. Dans les étagères, des pagnes du 8-Mars de 2019 et de 2020, traînent encore là, attendant désespérément d’être écoulés. « Ces pagnes ne servent pratiquement plus à grand-chose. On les utilise parfois juste pour changer le ton de certaines chemises. Sinon plus personne ne s’y intéresse encore ». Pour éviter désormais les difficultés d’écoulement, Faso confection n’appose le tampon officiel de la célébration sur les pagnes que sur commande expresse du client.
Pour certains, le prix du pagne reste encore une barrière pour un grand nombre de clients. En effet, le pagne est, à divers endroits, cédé au prix moyen de 5.000 F CFA. Awa Sawadogo, une ménagère, estime que ce coût est élevé. « Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir acheter par exemple deux pagnes et débourser encore de l’argent pour la confection. Ce n’est pas évident même si la qualité y est », a estimé cette dame. Une raison de la persistance de la contrefaçon ? C’est en tout cas ce que pensent certains observateurs.
Des appels à une plus d’innovation et de créativité autour du pagne du 8-Mars
Sur cette question du prix, les tisseuses sont pourtant unanimes sur le fait que 5.000 F CFA reste le minimum auquel le pagne peut être cédé au regard du coût et du temps de la production. « Quoiqu’on dise, le coût du de la matière première est relativement élevé », se plaint Alizèta Tapsoba. Au passage, cette tisseuse fait la différence entre deux qualités de fils qu’on retrouve sur le marché. « Il y a du fil importé du Ghana et un autre qui est produit ici au Burkina. En termes de coût, la différence est nette parce que contrairement au rouleau du fil ghanéen qu’on peut avoir sur le marché à 750 F CFA, celui du Burkina s’obtient à environ 6.000 F.
Le fil burkinabè est certes de qualité et beaucoup prisé mais il nécessite un travail minutieux surtout sur la teinture, lorsqu’on recherche des couleurs particulières, pour qu’il ne se déteigne pas après lavage. Le fil importé du Ghana, lui, est synthétique et conçu prêt à être utilisé », détaille le Alizèta Tapsoba.
Béranger KABRE
Filet ouvert
Des solutions pour tirer le meilleur du marché
Comment s’y prendre afin de tirer le meilleur profit de ce secteur d’activité lors des célébrations des Journées dédiées à l’autre moitié du ciel? Face à cette question, les acteurs du domaine ne manquent pas de propositions de pistes de solutions. Pour les uns, il faut travailler à faire baisser le coût des intrants de production. Alizèta Tapsoba est une partisane de cette solution. « Déjà l’initiative des autorités de faire des pagnes locaux ceux de la célébration du 8-Mars est à saluer. Mais le gouvernement nous aiderait davantage s’il se penchait sur le coût du fil à tisser », affirme dame Tapsoba.
Au-delà du fil, cette tisseuse appelle à rendre plus accessible l’outil de base qui est le métier à tisser, et de même pour les microcrédits. Deux éléments qui, selon elle entravent toute production en quantité. « De nombreuses femmes veulent se lancer dans cette activité mais n’en ont pas les moyens nécessaires » déplore Alizèta Tapsoba.
Pour Rachid Dima, le sous-secteur du pagne tissé a simplement besoin d’innovation et davantage de créativité, concernant particulièrement les pagnes retenus pour les célébrations du 8-Mars. Pour l’édition 2024, le motif officiel est un blanc assorti de rayures d’un bleu violacé. « Depuis plusieurs éditions, c’est le même design qui revient. Il n’y a pas une grande différence », fait remarquer le collectionneur de pagnes tissés. Or, pas moins de 400 motifs de pagnes sont recensés à travers le Burkina. « Au lieu du ton unique, pourquoi, par exemple, ne pas choisir du pagne en deux tons d’autant plus que c’est la préférence d’une majorité des femmes ? Cela offrirait plus de possibilités de créations de modèles pour les couturiers », suggère Rachid Dima.