Basée à Ouagadougou, Dr Dille Mahamadou Issimouha pilote le programme Maladies non transmissibles de l’OMS Afrique pour l’Afrique de l’Ouest. Sur 6 cancers curables de l’enfant, l’objectif est d’arriver à un taux de survie de 60% en 2030.
L’Economiste du Faso : Quels sont les programmes sur lesquels l’OMS Afrique travaille actuellement avec les gouvernements dans le domaine du cancer ?
Dr Dille Mahamadou Issimouha : En 2017, au cours de la 70e Assemblée mondiale de la santé, certains faits ont été rappelés aux Etats membres, à savoir que les progrès de la lutte contre le cancer ont été inégalement répartis. Même si l’on connaît des interventions efficaces, la charge du cancer du col de l’utérus reste (dont l’Afrique compte 19 des 20 pays ayant la plus lourde charge du cancer du col de l’utérus dans le monde) plus élevée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où les progrès ont été les moins rapides.
En plus de l’impact social, le cancer a également des répercussions économiques importantes et en augmentation. Selon les estimations en 2010, son coût économique annuel total était d’environ 1.116 milliards de dollars, menaçant les budgets de santé et les économies de toutes tailles et entraînant également des catastrophes financières pour les individus et les familles. Ce qui constitue une réelle menace pour l’atteinte des ODD (ndlr : Objectifs du développement durable).
Ainsi, l’OMS a appelé les pays à orienter la « lutte contre le cancer dans le cadre d’une approche intégrée ». Cela impliquait plusieurs recommandations fortes à prendre par les États dans le cadre de leurs engagements nationaux.
Les pays devaient élaborer des politiques et des plans stratégiques nationaux de lutte contre le cancer centrés sur l’équité et l’accès aux soins.
Les pays devaient mettre en œuvre ces plans en les dotant de ressources suffisantes et disposer de ressources adaptées et d’un système de suivi et de responsabilisation. Le système de santé doit lui-même être efficace et reposer sur les principes de la Couverture sanitaire universelle et de la solidité des soins de santé primaires. Les pays doivent améliorer leurs systèmes de surveillance par la mise en place de registres de cancer basés sur la population, en vue de recueillir des données de qualité et mettre en place des programmes de suivi et d’évaluation aux fins de l’assurance qualité.
Comment se décline concrètement le partenariat signé en juin 2022 avec le Groupement franco-africain d’oncologie pédiatrique (GFAOP) ?
L’objectif de ce partenariat est de mutualiser les efforts par la mise en place d’un comité de pilotage tripartite (ministère de la Santé, GFAOP, OMS) pour mettre en œuvre un plan d’action commun pour une meilleure coordination des interventions à réaliser dans le cadre de l’initiative des cancers de l’enfant dans les pays francophones de la Région africaine de l’OMS où opère le GFAOP. Ces interventions vont inclure le plaidoyer, le renforcement des capacités dans différents domaines comme la formation des ressources humaines, la promotion de la détection précoce, etc.
Comment résoudre l’équation de l’accès aux soins dans les pays qui ne disposent pas de régime d’assurance maladie ?
L’OMS met actuellement en place une plate-forme mondiale d’accès aux médicaments pour les cancers de l’enfant. On note que certains pays soutenus par l’Initiative mondiale ont déjà réalisé d’importants efforts en intégrant les cancers de l’enfant dans l’assurance maladie. C’est le cas du Ghana et de la Zambie. Nous appelons donc les autres Etats à multiplier les efforts dans ce sens, car si deux pays ont pu le faire, d’autres aussi le peuvent.
Dans d’autres pays comme le Sénégal et le Niger, l’Etat subventionne également les médicaments pour les enfants atteints de cancer.
Plusieurs pays ont également revu leurs listes des médicaments essentiels pour intégrer les médicaments pour le traitement des cancers de l’enfant.
Reste également à relever le défi du phénomène d’abandon des traitements.
Ce phénomène est complexe, il a plusieurs causes qui varient en fonction du contexte, mais certaines sont communes. Il s’agit :
– du diagnostic tardif : avec ce qu’il implique comme traitement long, onéreux avec peu de résultats, ce qui décourage souvent les parents. Il faut accentuer la sensibilisation communautaire et former les travailleurs de la santé sur les signes précoces (particulièrement le personnel de santé intervenant dans les soins de santé primaires) ;
-du manque de soutien psychosocial: aussi bien des patients, de leurs parents que du personnel de santé ;
-du faible accès aux médicaments de qualité et à un prix abordable : le coût élevé des médicaments, les ruptures fréquentes, la qualité douteuse des médicaments entraînent une absence de réponse au traitement ;
-de la faible capacité économique des parents à payer les médicaments de leur poche (ce qui est assez fréquent dans les pays où l’Etat n’accorde aucune subvention) ;
-de l’accès éloigné aux centres de traitement : mettre en place des maisons des parents pour éviter aux familles les frais de déplacement importants. Il y en a au Burkina Faso, au Niger, en Côte d’Ivoire, grâce à l’appui de certaines organisations internationales qu’il faut ici féliciter ;
-de la méconnaissance de la maladie et de certaines croyances néfastes : instaurer un dialogue avec les tradipraticiens pour une sensibilisation et une collaboration.
Il faut donc combattre les causes pour améliorer de manière significative la survie des enfants dans notre Région qui ne dépasse pas 20 % actuellement pour 6 cancers hautement curables. Il est impératif de changer cette tendance et de passer à 60 % de survie à 5 ans d’ici à 2030. Pour cela, il faut un engagement fort de nos Etats, ainsi que de toutes les parties prenantes, parce que chaque minute de la vie d’un enfant est précieuse et chaque instant de souffrance d’un parent est intolérable.o
Propos recueillis par Saad Amin BENKIRANE
Encadré
Les programmes déclinés sur le continent
Trois grandes initiatives mondiales ont été élaborées en 2018 et en 2020 et sont actuellement mises en œuvre dans de nombreux pays africains, à savoir l’Initiative mondiale contre le cancer de l’enfant (GICC : The Global Initiative for Childhood Cancer (who.int)), l’Initiative mondiale pour l’élimination du cancer du col de l’utérus comme problème de santé publique (CCEI: Cervical Cancer Elimination Initiative (who.int)) et l’Initiative mondiale contre le cancer du sein (GBCI : The Global Breast Cancer Initiative (who.int)).
Un programme conjoint mondial a été mis au point par l’équipe spéciale inter-organisations pour la prévention et la maîtrise des maladies non transmissibles, dirigée par l’OMS, dans le cadre duquel sept organismes du système des Nations unies (AIEA, CIRC, OMS, ONU-Femmes, ONUSIDA, UNFPA et UNICEF). Ce programme aide les gouvernements à prévenir et à combattre le cancer du col de l’utérus.
Dans le cadre d’un appui conjoint aux pays avec l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), 14 pays ont été appuyés entre 2021 et 2022, dans l’élaboration des plans stratégiques de lutte contre le cancer.
L’OMS a soutenu 4 pays à budgétiser leurs plans contre le cancer et à faire des plans d’investissement. La mise en œuvre par le CIRC (organe de l’OMS pour la recherche sur le cancer) et d’autres partenaires de l’Initiative mondiale pour les registres des cancers (GICR) et l’ouverture en 2022 de 3 centres collaborateurs (Abidjan, Nairobi, Johannesburg) pour les registres des cancers. Cette initiative a pour but de renforcer les capacités de la surveillance du cancer dans les pays, en vue d’informer les gouvernements sur l’incidence et la mortalité du cancer, d’évaluer l’impact des stratégies et des programmes de lutte contre le cancer, d’évaluer les efforts/progrès réalisés pour la CSU.
Ce programme est fortement soutenu par l’OMS , vu que les données sur le cancer sont la pierre angulaire de la lutte contre ce fléau.
L’OMS vient de mettre en place un groupe de travail technique d’experts composés des représentants des 5 États soutenus par la GICC et des acteurs de la société civile (ONG, Sociétés savantes) œuvrant dans le cadre de la lutte contre le cancer en Afrique, afin d’élaborer des outils de plaidoyer et de sensibilisation sur les cancers de l’enfant adaptés au contexte de notre Région.
L’OMS, avec l’appui de partenaires (St Jude), est en train de mettre en place une plate-forme mondiale d’accès aux médicaments pour les cancers de l’enfant, dans le but de réduire un des principaux obstacles à la survie à 5 ans pour 6 cancers de l’enfant parmi les plus curables. Plus de 50 pays seront soutenus d’ici à 2027 pour l’accès à des médicaments de qualité et sans interruption pour la prise en charge des cancers de l’enfant.
Encadré
Un programme pilote au Burkina
L’OMS, avec l’appui du CCI (Childhood cancer international), met en œuvre un projet pilote au Burkina Faso visant à élaborer des normes pour la santé mentale et le soutien psychosocial des enfants atteints de cancer. Ces normes élaborées seront ensuite revues par les experts de tout le continent et mises à la disposition des pays pour une conceptualisation.
Le soutien aux pays pour une intensification de la lutte anti-tabac, car le tabac est le principal facteur de risque de plusieurs cancers MPOWER (who.int).
La mise en œuvre de l’Initiative mondiale sur l’alcool, qui est un facteur de risque pour le cancer du sein SAFER-alcohol control initiative (who.int).o