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Prostitution à Ouagadougou: « Y a plus marché » !

• Le chiffre d’affaires a baissé de moitié

• De Kouritenga à la Patte d’Oie

• Les clients se font désirer

L’insécurité qui affecte le Burkina Faso depuis 2015 impacte aujourd’hui tous les secteurs d’activités de l’économie burkinabè. Au point que la croissance du pays est passée de 6,9% en 2021 à 2,7% en 2022. De ces secteurs d’activités économiques, celui de la prostitution à Ouagadougou a aussi pris un gros coup. La fréquentation des lieux par les clients potentiels a beaucoup baissé, à en croire certaines filles de « joie » et de managers rencontrés en fin février 2023.

La maison sombre de Kouritenga

Mardi 28 février 2023, il est 22 heures à Kouritenga, quartier périphérique de la capitale Ouagadougou. Destination, une habitation qui se distingue des autres. Et pour cause, c’est le seul lieu qui est totalement sombre sur l’alignement. A peine dans le parking que les clients sont accostés par des jeunes filles aux tenues provocantes.  Elles mâchent toutes du chewing-gum et parlent un anglais proche de celui d’un pays de la sous-région, Nigeria. Dans le hall, une odeur ocre qui pique le nez, et de la musique à plein les baffles et un barman qui réduit le temps d’attente en servant de l’alcool, au choix.

C’est là que nous passerons la soirée. A force de repousser les sollicitations des professionnelles du sexe, l’un des 3 managers de « l’hôtel » nous interpelle. Après explications, nous décidons de discuter business. O.S, c’est ainsi que nous le surnommerons, partage ses déboires avec nous.

Comment se porte le business dans ce contexte d’insécurité ? Comme s’il nous attendait pour déballer son amertume, O.S répond sans ambages que l’activité est en chute libre. Sa conviction sur le ralentissement de l’activité est attribuée à l’insécurité que traverse le pays dont l’effet collatéral visible est la paupérisation des Ouagalais. Comme pour nous convaincre que ses clients qui venaient nombreux avant sont aujourd’hui pauvres, O. S nous dit de regarder le parking. « Il y a 2 à 3 ans en arrière, tu avais un parking rempli de deux roues. Aujourd’hui, c’est quelques engins ». Manadja, comme l’appellent les filles, révèle qu’avant, les clients s’alignaient pour avoir une « passe » avec une cliente.

Et pour montrer à quel point le lieu débordait de monde, Manadja affirme qu’avant, les filles étaient au nombre de 55, voire 60 ; aujourd’hui, elles ne sont que 25 filles. Où sont parties le reste des filles ? Elles sont retournées dans leur pays d’origine, le Nigeria.

Nous cherchons à vérifier ces propos de Manadja auprès d’une fille. C’est la plus francophone des filles présentes dans le maquis, Aïcha, un nom d’emprunt, est notre interlocutrice. Pour la mettre en confiance, nous lui proposons à boire, chose qu’elle accepte volontiers. Nous apprenions qu’avec elle, le client doit débourser 2.000 FCFA ou 3.000 FCFA pour des clients qui veulent d’autres sensations. Aïcha confirme la baisse de la clientèle. Face à cette baisse, elle dit être en colère contre ses frères Burkinabè pour avoir chassé l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré. « Avec Blaise Compaoré, il y avait la paix et les gens avaient l’argent. Depuis qu’il est parti, rien ne marche dans ce pays », martèle-t-elle.

Le manque de clients est source de tension entre les filles et les managers. O.S mentionne le fait que les filles n’arrivent plus à payer leur chambre de passe qui est de 3.500 FCFA/jour du lundi au vendredi et 5.000 FCFA/jour les samedis et dimanches. Manadja laisse entendre que depuis un certain temps, elles versent à leur descente 2.000, voire 1.000 FCFA. Par compréhension, ils encaissent, mais notent que cela grève leur chiffre d’affaires.

Actuellement, Manadja relève le fait que des filles ont des crédits de chambre de passe de 10.000 à 15.000 FCFA.  Malgré le fléchissement du nombre de clients, Aïcha compte rester encore au pays des Hommes intègres où elle vit avec sa petite sœur. Manadja nous rassure que toutes les filles qui exercent dans cette auberge sont prises en charge sanitairement au niveau de l’ex-Permanence de Dapoya, devenue une infirmerie. Chacune d’elle subit un contrôle chaque trois mois et elles possèdent des carnets de santé. Un contrôle régulier est fait par la police des mœurs dans les auberges, mentionne-t-il.

Près de 200 filles de joie dans une auberge à la Patte d’Oie

Après Kouritenga, nous prenons le pouls de l’ambiance dans le quartier Patte d’Oie. Aux environs de minuit, devant une auberge pas très loin de la cité universitaire. Contrairement à la première auberge, celle-ci déborde de monde et le parking est rempli d’engins à deux roues. L’endroit est plus éclairé et nous voyons des clients qui négocient avec des filles de joie, le prix de la passe. A l’intérieur, un gérant sert de la boisson à des clients assis avec leur conquête. Une fois le bar traversé, nous sommes nez à nez sur un nombre important de filles aux tenues légères qui déambulent. Certaines se permettent de fumer la cigarette et d’autres en train de mâcher le chewing-gum. Les clients et les filles de joie sont dans la pénombre. Nous prenons place dans cette pénombre en compagnie de Lydie. Présente sur le sol burkinabè depuis 3 ans, après avoir quitté son pays natal à la recherche d’un mieux-être et dans un français approximatif, elle révèle qu’elles sont plus de 200 filles qui exercent la prostitution dans cette auberge. Un chiffre que confirme plus tard le manager de l’auberge. Dans cette auberge, les filles proviennent du Nigeria, du Ghana, du Togo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso.

La particularité de ladite auberge, selon le manager et gérant du bar que nous décidons d’appeler « Marc », est qu’une partie des filles travaille la journée et d’autres la nuit. Autre particularité ici, il y a deux catégories de chambre de passe, les filles payent 1.000 FCFA pour l’une et 2.000 FCFA pour l’autre et par client.

Malgré l’engouement qui nous a été donné de voir et le nombre important de filles, Lydie, Aminata (une Burkinabè qui y travaille) et le manager, Marc, sont catégoriques, l’insécurité avec son corollaire de vie chère ont fait baisser l’activité de la prostitution. Lydie, visiblement dépitée par le manque de marché, nous lance cette phrase : « Y a plus marché », moi-même cela fait deux jours que je n’ai pas eu de client.

A notre arrivée, elle était assise seule sans « compagnon », avec d’autres filles. Marc que les filles appellent aussi Manadja nous confie qu’avant la crise sécuritaire, l’auberge faisait des bénéfices de 350.000 FCFA par jour. Mais qu’en pleine crise sécuritaire, l’auberge fait des recettes de 100.000, voire 150.000 FCFA par jour. Tous ont souhaité qu’une paix définitive revienne le plus tôt au Burkina Faso, afin, disent-ils, que chaque acteur de la chaîne de la prostitution gagne convenablement son dû. 

Joël BOUDA

 

Encadré

Entre 15 et 25 millions FCFA de chiffre d’affaires mensuel

O.S, l’un des trois managers de l’auberge de Kouritenga, nous confie que le business de l’activité de la prostitution rapporte énormément aux propriétaires des auberges. Son patron serait à son quatrième espace d’auberge, grâce aux recettes de l’auberge de Kouritenga. Dans les années antérieures, il souligne que ladite auberge pouvait générer un chiffre d’affaires entre 15 et 25 millions FCFA par mois. Les filles, une fois dans ces auberges, paient 25.000 FCFA comme caution pour pouvoir travailler. Les jours ouvrables, les filles paient les chambres de passe à 3.500 FCFA par jour et 5.000 FCFA par jour du samedi au dimanche. Manadja souligne que sur le chiffre d’affaires, sont déductibles les charges de la location de l’auberge qui sont de 150.000 FCFA par mois, l’électricité à 50.000 FCFA par mois. Les salaires de 9 employés. Les filles de joie ne sont pas en reste, après avoir pu payer sa chambre de passe, tout l’argent qu’elle gagne après, c’est pour elle, 50.000 ou 100.000 avec des clients généreux.

Simple calcul à partir de 50 filles de joie

50 x 3.500 FCFA x 5 jours= 875.000 FCFA

50 x 5.000 FCFA x 2 jours= 500.000 FCFA

Soient 1.375.000 FCFA par semaine x 4 semaines, ce qui donne 5.500.000 FCFA par mois.

5.500.000 x 52 semaines= 71.500.000 FCFA par an.

 

Encadré

Les activités connexes en profitent

Malgré la morosité du marché de la prostitution, les activités connexes respirent. En témoigne ce commerçant dont la boutique est collée à l’auberge. Il dit faire de bonnes affaires, notamment, la vente des préservatifs. C’est avec un large sourire qu’il nous dit au revoir avec cette phrase. « Mon ami, ce n’est pas de ma faute. C’est la vie qui est comme cela ». Un gérant de kiosque dont la spécialité ce sont les pâtes instantanées, précuites, se réjouit aussi de recevoir les professionnelles du sexe dans son petit resto.

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