Dans la furie des terroristes, les boutiques et les marchés des commerçants sont pillés et incendiés. Conséquence, ceux-ci se retrouvent du jour au lendemain à tout perdre. Pire, ils sont appelés désormais Personnes déplacées internes (PDI). Leurs convois de ravitaillement de vivres alimentaires et de marchandises sont fréquemment attaqués sur les axes routiers par les terroristes. Tout cela a rendu l’activité commerciale morose. Pour ne rien arranger, la Covid-19 a accentué cette morosité des affaires avec la fermeture des frontières. Pour comprendre à quel point la situation sécuritaire et sanitaire affecte les commerçants, L’Economiste du Faso a rencontré le président du Réseau des associations de l’économie informelle du Burkina Faso (RAEI-BF), Saïdou Zangré. C’était le 12 janvier 2022 à Ouagadougou.
L’Economiste du Faso : En 2018, avec la situation sécuritaire, vous disiez ceci : « L’argent ne circule plus », 3 ans après, quel est le constat avec cette situation sanitaire qui s’ajoute ?
Saïdou Zangré, président du RAEI : Aujourd’hui, la situation que vivent les acteurs du secteur informel est pire qu’avant. Et pour cause, en plus de la situation sécuritaire qui existait déjà en 2018, s’est ajoutée celle sanitaire, la Covid-19, survenue en 2020. Cette dernière situation a durablement affecté la bonne marche des acteurs du secteur informel. Ceux-ci se sont retrouvés face à la fermeture des frontières, des marchés et yaars, etc. L’insécurité avec son lot de déplacés internes. Pire, les terroristes, une fois dans les zones à forte concentration d’activités commerciales, brûlent et saccagent les commerces, les marchés et les biens des commerçants. Les PME/PMI et les entreprises ont été fortement impactées. Notre situation actuelle est grave au point que même les hommes d’affaires se plaignent. Si hier, les commerçants prêtaient aux fonctionnaires, aujourd’hui, c’est la situation contraire. Cela est dû au fait que les commerçants n’arrivent plus à survenir à leurs besoins (alimentaire, scolarité des enfants, santé, carburant…).
Les fonctionnaires vous aident-ils pour que vous ne fermiez pas boutique ?
Ils nous aident pour avoir les trois repas par jour (rire !!!!).
Dites-nous jusqu’à quel point vous êtes impactés…
Par solidarité à nos frères commerçants issus des zones affectées par l’insécurité, notre réseau a demandé à nos membres de les accueillir dans leurs boutiques pour qu’ils travaillent et qu’ils continuent de gagner un peu d’argent et de garder leur dignité humaine. Moi personnellement, j’ai avec moi 3 commerçants dont les boutiques ont été incendiées. Ces derniers travaillent avec moi et viennent en aide à leurs familles restées dans les camps de déplacés internes.
Certains de ces commerçants qui ont tout perdu sont dans un désespoir total, nous demandons au gouvernement de leur apporter une assistance psychologique. Au-delà des incendies des commerces, marchés et biens, le circuit du ravitaillement des produits et marchandises de la capitale Ouagadougou vers l’intérieur a connu un frein à cause des attaques sur les routes. Des commerçants ont contracté des prêts bancaires pour payer des marchandises et par la suite, ils ont tout perdu financièrement.
Des commerçants sont venus du Nord, de l’Est et du Sahel à Ouagadougou pour s’approvisionner en marchandises, surtout dans le domaine de la friperie, après, d’autres sont décédés et n’ont pu honorer leurs engagements financiers. A cause de la Covid-19, les consommateurs hésitent à acheter ou porter de la friperie, estimant qu’il y a eu beaucoup de décès en Europe et en Asie, conséquence, la friperie ne marche plus.
Donc impossible de ravitailler l’intérieur du pays ?
Aujourd’hui, les axes routiers sont devenus très dangereux. Le dernier exemple en date est ce convoi de commerçants qui a quitté Ouahigouya pour Titao (45 km) avec des vivres et autres marchandises, malgré l’escorte des VDP avec à sa tête Ladji Yoro, le convoi a été attaqué, bilan, 41 décès dont le nommé Yoro. Kaya-Dori, Kaya-Kongoussi, aucun commerçant ne peut avoir des camions pour convoyer les marchandises. Sur ce point sensible, nous sollicitons l’accompagnement de l’Etat pour sécuriser les convois.
Parlons du Fonds Covid octroyé par l’Etat pour soutenir le monde des affaires…
L’Etat burkinabè dit qu’il a mis 100 milliards FCFA dans les institutions financières, malheureusement, nous les acteurs du secteur informel n’ont pu y accéder à cause des garanties demandées. Si vous prenez les fonds de l’AFP/PME du ministère du Commerce, ils demandent d’envoyer un PUH comme garantie.
Vous demandez cela à des gens qui évoluent dans l’informel, ils vont avoir cela où ? Jusqu’à demander les déclarations à la CNSS, or, nous, nous évoluons dans l’auto-emploi. Au niveau du FAPE l’on demande un PUH ou une carte grise d’un véhicule qui n’est pas vieux. C’est comme si le gouvernement a donné l’argent avec sa main droite pour la récupérer avec la main gauche. Aujourd’hui, les institutions financières ne peuvent pas faire un bilan financier des montants octroyés aux acteurs du secteur informel avec la liste des bénéficiaires. Face à ce constat, nous nous demandons si finalement, l’Etat n’a pas redistribué cet argent à ceux qui ont des garanties que sont les fonctionnaires.
Tous ceux que je connais comme acteurs du secteur informel n’ont pas bénéficié des différents prêts.
Trouvez-vous que c’était trop sélectif ?
A la limite, l’Etat a exclu les acteurs du secteur informel. Par contre, côté fiscalité, le gouvernement a fait des efforts, car, nous avons eu un soutien dans la fiscalité et une annulation des pénalités de nos factures d’eau et d’électricité en 2020 avec la Covid-19. Avec le nouveau gouvernement Zerbo, il faut qu’on clarifie les choses et qu’on revoie les modes de désignation des bénéficiaires des Fonds Covid.
Les consommateurs se plaignent de la surenchère des prix des produits de première nécessité. Vous les commerçants seriez à l’origine…
Ce n’est pas du fait des commerçants. L’Etat lui-même dit que c’est un phénomène mondial. La solution demeure la subvention des produits par l’Etat et qu’il suscite un engouement dans la culture céréalière. Autre chose à faire, que l’Etat baisse les tarifs douaniers sur l’exportation des produits de première nécessité, cela aura un impact immédiat sur la baisse des prix. Sinon je suis d’accord que la vie est devenue chère, avec un sac de maïs de 100 kg avoisinant 30.000 FCFA et un salaire de 50.000 FCFA au Burkina Faso, tu ne peux pas t’en sortir.
Parlons de votre apport à l’économie nationale…
Au regard de la morosité des affaires en 2020 et 2021, le secteur informel a peu contribué à l’économie nationale. Ce n’est pas que les acteurs ne veulent pas contribuer mais les affaires ne sont plus reluisantes. Imaginez-vous que des commerçants accusent d’énormes retards de crédits des loyers des boutiques. Même les factures d’eau et d’électricité sont devenues difficiles à payer. Dans ces conditions, comment arriver à payer nos taxes et impôts. Les commerçants sont assis dans les boutiques avec des pensées du genre comment ma famille va se nourrir ?
Entre-temps, la Mairie de Ouagadougou annonçait l’augmentation des loyers de boutiques…
Pour vous dire vrai, le Maire Armand Béouindé n’écoute pas ses concitoyens. J’ai l’impression qu’il ne connait pas la situation réelle des commerçants. Avec la situation que nous vivons, est-ce qu’on a besoin d’augmenter la souffrance des gens. Regarder à Ouahigouya, le Maire a tenté une augmentation des loyers des boutiques qui s’est mal passée.
Quel est l’impact de la fermeture des frontières sur vos différentes activités ?
Ces fermetures des frontières ont impacté le secteur informel. Ces fermetures sont mêmes à l’origine de la hausse des prix des produits de consommation. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dépourvus de mer, ont été durablement affectés par les fermetures des frontières. Par contre, les pays qui ont accès à la mer tels que la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin ont constaté une hausse de leurs transactions commerciales. C’est vrai que des commerçants ont utilisé la digitalisation pour commander leurs marchandises, mais à l’arrivée, tu peux te retrouver avec une marchandise autre. Tu ne peux plus la retourner, tu es obligé de la vendre. Les pays à façade maritime bénéficient de la crise sanitaire sur le plan commercial, ce qui est le contraire des autres pays qui n’ont pas accès à la mer. L’UEMOA doit revoir cette injustice commerciale.
Quelques pistes de solutions ?
Nous invitons le nouveau gouvernement Lassina Zerbo à faire un diagnostic sans complaisance des maux qui minent le secteur informel, en discuter avec les principaux concernés et dégager une feuille de route ; car, n’oubliez pas que le secteur informel organisé est créateur d’emploi et de richesse pour le pays.
Interview réalisée par Ambéternifa Crépin SOMDA
Encadré
La concurrence déloyale est pratiquée par les Burkinabè et non les Chinois, Libanais et les Indiens
De nos jours, la concurrence déloyale est pratiquée par les Burkinabè et non les Chinois, Libanais et les Indiens qui sont indexés. Ces derniers exercent dans le gros, demi-gros et le détaillant. Toute chose contraire à la loi 016-2017 sur l’organisation de la concurrence au Burkina Faso qui veut que chaque entité reste à sa place. Nous invitons le gouvernement à mettre fin à cette pratique qui fragilise les activités du secteur informel.
Encadré 2
Exercice du commerce, que les fonctionnaires
restent à leur place
Toujours à propos de la concurrence déloyale, nous les commerçants avons en face les fonctionnaires. Ceux-ci, en plus de travailler à la Fonction publique, exercent aussi le métier de commerçant, d’où leur qualificatif fonctionnaire-commerçant. Désormais, nous serons dans la dénonciation de cette concurrence déloyale. Ils profitent de la journée continue pour exercer le métier de commerçant (7h30 à 16h), le reste de la soirée, ils sont avec nous. Nous les invitons plutôt à s’adonner aux activités agro-sylvo-pastorales, là, le pays peut en bénéficier à travers l’autosuffisance alimentaire.