La dernière décennie a été marquée par un changement profond dans la structure des exportations du Burkina Faso. Les ressources minières, notamment, aurifères ont commencé à gagner en importance dans l’ensemble des exportations du pays, devenant ainsi le premier produit d’exportation du pays au détriment du coton depuis 2010. En 2017, les exportations d’or représentaient 66% du total des exportations du Burkina Faso. La Suisse est la principale destination des exportations burkinabè, avec une part avoisinant 80% du total des exportations en 2017, selon le rapport ITIE-Burkina Faso. Le secteur contribue également à la formation du Produit intérieur brut (PIB) et à la création d’emplois dans le pays. En effet, les industries extractives employaient, en 2017, plus de 27 000 personnes et contribuaient au PIB à hauteur de plus de 8%.
Nonobstant ces chiffres, la question de la transparence dans l’exploitation minière reste posée par plusieurs acteurs. Des organisations de la société civile comme le REN-LAC, l’ORCADE et la presse ne cessent d’attirer l’attention des autorités en charge du secteur sur des cas de détournement de fonds, de fraudes et d’opacité dans certaines opérations d’exportation de l’or. L’affaire dite du « charbon fin » illustre parfaitement cet état de fait. Une étude menée par le Centre d’études et de recherche appliquée en Finances publiques (CERA-FP) a montré que l’État burkinabè a perdu plus de 100 milliards FCFA en 2017 du fait des exonérations fiscales dont ont bénéficié les sociétés minières. À cette étude s’ajoute le rapport de la Commission d’enquête parlementaire de 2016 sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières qui pointe du doigt « une fiabilité douteuse des déclarations sur les quantités d’or produit ». Cette enquête parlementaire aboutit à un manque à gagner de plus de 500 milliards FCFA.
Au regard de l’importance du secteur dans l’économie nationale et sa contribution dans le budget de l’État, un manque de transparence pourrait entrainer des pertes en recettes publiques assez importantes. Les deux précédentes études sur le secteur se sont beaucoup appesanties sur les pertes budgétaires dues aux exonérations fiscales sans questionner en profondeur les implications des fausses facturations des exportations sur les recettes budgétaires. Nous nous proposons alors de contribuer à la réflexion et aux débats sur le sujet avec pour objectif d’estimer les pertes en recettes budgétaires occasionnées par ces fausses facturations des exportations de l’or burkinabè vers les principaux pays de destination que sont la Suisse et l’Inde sur la période 2014-2019.
Ainsi, dans un premier temps, nous présenterons les différents types de fausses facturations et les objectifs poursuivis par les entreprises ou les personnes qui les pratiquent. Dans un deuxième temps, nous déclinerons les méthodes d’estimation ainsi que les hypothèses qui les sous-tendent. Par la suite, nous présenterons les sources de données que nous avons utilisées. Nous estimerons enfin l’ampleur des sous-facturations dans les opérations d’exportation d’or tout en faisant ressortir leurs implications sur les recettes budgétaires, au regard de la fiscalité minière en vigueur.
Les différents types de fausses facturations et leurs implications
Les fausses facturations peuvent intervenir tant dans les opérations d’importation que celles d’exportation. Il s’agit pour l’importateur/exportateur de « sous-déclarer » ou de « sur-déclarer » la valeur et ou la quantité de ses marchandises. Selon que ce soit une opération d’importation ou d’exportation, ces deux types de fausses déclarations n’ont pas les mêmes implications en termes de Flux financiers illicites (FFI).
Les fausses facturations des importations
Les fausses facturations dans les opérations d’importation peuvent consister pour l’importateur, soit à déclarer une valeur en dessous de la vraie valeur de ses marchandises soit à en déclarer une valeur plus élevée. Lorsque l’importateur sous-évalue la valeur ou la quantité de ses marchandises, son objectif principal est de payer moins de taxes douanières que ce qu’il devrait payer. Ce type de fausse facturation engendre des conséquences très néfastes sur le budget de l’État et par ricochet, sur les politiques publiques.
Par contre, lorsque l’importateur surévalue la valeur ou la quantité de ses marchandises, l’objectif est de faire sortir du pays des devises dont le montant est supérieur au coût réel des marchandises. C’est une technique couramment utilisée dans les opérations de blanchiment d’argent et de fuite de capitaux vers les paradis fiscaux et/ou les pays à monnaie forte.
Les fausses facturations dans les opérations d’exportations
Les deux types de fausses facturations dans les opérations d’exportation ont aussi des implications en termes de dépenses publiques et de recettes fiscales. En effet, la sous-facturation des exportations implique une sortie de ressources du pays vers principalement les paradis fiscaux et dont l’objectif principal est d’éviter les impôts et taxes sur les revenus et sur les opérations d’exportation. Pour un pays qui impose des taxes sur les exportations (comme dans le cas de l’or au Burkina Faso), la sous-facturation peut aussi avoir pour objectif de payer moins de taxe à l’exportation.
La surfacturation, quant à elle, vise à faire rentrer dans le pays des capitaux pouvant provenir d’activités criminelles. Elle peut aussi obéir à une volonté de bénéficier d’éventuelles subventions à l’exportation.
Hypothèses et méthodes
Dans la littérature, diverses approches empiriques sont utilisées pour quantifier l’ampleur des fausses facturations. La méthode la plus utilisée consiste à comparer la valeur et/ou la quantité déclarée d’une transaction commerciale dans un pays avec la valeur et/ou la quantité correspondante dans les statistiques miroir du pays partenaire. Cette méthode fait l’hypothèse implicite que les exportateurs sont incités à faire une fausse déclaration sur un seul côté (du côté du pays exportateur ou du pays importateur) d’une transaction. En conséquence, la déclaration faite de l’autre côté est considérée comme exacte. La différence entre la déclaration erronée et la déclaration exacte d’une transaction est alors interprétée comme une fausse facturation (Nitsch, 2017).
Pour le cas spécifique de l’or burkinabè, nous faisons l’hypothèse que les exportateurs n’ont d’intérêt à faire une fausse déclaration qu’uniquement du côté du Burkina Faso. Plusieurs éléments sous-tendent cette hypothèse. Premièrement, la destination principale, en l’occurrence la Suisse, n’impose pas de droit de douane aux importations d’or. Quant à l’Inde, elle a fixé un tarif MFN (Most Favoured Nation – la Nation la plus favorisée) de 10%, mais ne l’applique pas dans la réalité. De ce fait, les exportateurs n’ont aucune incitation à sous-facturer leurs produits aux fiscs suisses et indiens, dans la mesure où cela n’engendre aucun gain fiscal pour ces derniers. Deuxièmement, les taxes intérieures sur les produits miniers au Burkina Faso (taxe à l’exportation, impôts sur le bénéfice, FMDL, royalties, etc.) peuvent inciter les entreprises minières à sous-décaler leurs recettes au fisc dans le but de ne payer qu’une partie des impôts qu’elles devraient normalement payer. Troisièmement, plusieurs études ont montré que la sous-facturation est un phénomène très présent dans le secteur minier des pays africains (voir par exemple GFI (2018) et Östensson, O. (2018)). Cette pratique a miné les exportations de ressources minières de l’Afrique pendant des décennies. Le panel de haut niveau sur les flux financiers illicites (FFI), mis en place par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Union africaine (UA) pour faire face à la question inquiétante des FFI en provenance d’Afrique, a constaté que les FFI étaient plus fréquents dans les pays africains exportateurs de ressources minières.
Source et description des données
Afin de vérifier si les exportations d’or du Burkina Faso sont entachées de fausses facturations commerciales, nous avons fait usage des données provenant de l’UNComTrade. Sur cette plateforme, tous les pays déclarent chaque année, les quantités et les valeurs de leurs importations et exportations pour tous les produits. Par exemple, l’or exporté par le Burkina Faso vers la Suisse est enregistré en valeur et en quantité par le Burkina Faso, mais aussi par la Suisse. De ce fait, il est possible de faire une comparaison entre les données provenant des deux sources. La comparaison des valeurs se révèle être un exercice beaucoup plus complexe que celle des quantités.
En effet, les pays d’origine enregistrent les exportations en valeur franco à bord (free on bord) alors que les pays de destination enregistrent les importations en prix CAF (coût-assurance-fret). En conséquence, toute comparaison des valeurs nécessite des calculs complexes pour ramener les importations en prix FOB. En revanche, la comparaison des quantités ne souffre d’aucune ambiguïté. Pour la présente réflexion, nous nous sommes limités à la comparaison des quantités d’or que le Burkina Faso déclare avoir exportées avec celles que les deux principaux pays de destination déclarent avoir importées en provenance du Burkina Faso. Nous avons choisi ces deux pays de référence, à savoir la Suisse et l’Inde, parce qu’ils sont les plus gros importateurs de l’or burkinabè. À titre d’exemple, en 2019, les quantités d’or que le Burkina Faso a déclaré avoir exportées vers ces deux pays représentaient 99,35% de l’ensemble des exportations du pays (73,14% vers la Suisse et 26,21% vers l’Inde).
Nous avons également choisi de travailler avec les données de 2014 à 2019 pour une question d’exactitude des données. En effet, avant 2012, la Suisse (principal importateur d’or du Burkina Faso) n’incluait pas les importations ou les exportations d’or et d’autres métaux précieux dans ses rapports à l’UNComtrade. En conséquence, certains pays déclareraient des exportations d’or vers la Suisse, alors que la Suisse n’a déclaré aucune importation d’or en provenance de ces pays (l’or de ces pays serait des exportations « orphelines » vers la Suisse).
Dans une telle situation, il est pratiquement impossible d’identifier une quelconque fausse déclaration.
Cependant, étant donné que la Suisse a recommencé à déclarer son commerce d’or sur une base bilatérale à partir de 2012, les nouvelles données de l’UNComtrade deviennent comparables. Par ailleurs, les importations d’or pour l’Inde ne sont disponibles qu’à partir de 2014. Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de garder, pour notre analyse, les 6 dernières années pour lesquelles les données sont disponibles.
Afin d’estimer les pertes en recettes budgétaires, nous avons utilisé le taux de change annuel moyen entre le franc CFA et le dollar américain pour convertir les valeurs en FCFA qui, initialement, étaient exprimées en dollar US. Les données sur le taux de change entre le franc CFA et le dollar américain proviennent de la BCEAO.
Les fausses facturations des exportations d’or du Burkina Faso
Les deux dernières colonnes du Tableau 2 présente le gap en kg et en pourcentage par rapport à la quantité déclarée par le Burkina Faso. Ainsi, de 2014 à 2019, les exportations d’or du Burkina Faso vers la Suisse et l’Inde ont toujours été sous-facturées. En termes de quantité, l’année 2019 a été celle au cours de laquelle le plus grand gap a été constaté (plus de 10 tonnes) correspondant à plus de 21% de la quantité d’or que le Burkina Faso a déclaré avoir exportée.
Les implications des fausses facturations sur les recettes publiques
La sous-facturation des exportations d’or du Burkina Faso entraine des pertes importantes en termes de recettes budgétaires. Nous en avons identifié quatre principalement :
Les pertes en taxe à l’importation
Le décret n°2017-0023/PRES/PM/MEMC/MINEFID portant fixation des taxes et redevances minières fixe la taxe à l’exportation de l’or à 200 FCFA par gramme. Sur la base de ce montant, nous avons calculé les pertes en recettes budgétaires dues à la sous-facturation des exportations d’or.
Le constat général que l’on peut faire est que ces pertes n’ont cessé de croître sur les 6 dernières années. En effet, entre 2014 et 2019, le montant de pertes en taxe à l’exportation est passé de 1 600 000 à 2 119 600 000 de FCFA. Sur l’ensemble de la période (2014-2019), le montant total des pertes en termes de taxes à l’exportation se chiffre à environ 8 milliards de francs CFA.
Les pertes sur les royalties
Les royalties sont des redevances proportionnelles que les sociétés minières doivent verser à l’État burkinabè. Avant 2010, elles représentaient 3% du chiffre d’affaires. Le décret N° 2010-075/PRES/PM/MEF portant fixation des taxes et redevances minières, abrogeant celui de 2005, fixait cette redevance à 5% du chiffre d’affaires avant que celui de 2017 ne vienne fixer cette proportion en fonction du cours de l’once d’or qui prévaut à la London Metal Exchange (LME) de la manière suivante :
– 3% si le cours de l’once d’or est inférieur à 1 000 dollars US
– 4% si le cours de l’once d’or est compris entre 1 000 et 1300 dollars US
– 5% si le cours de l’once d’or est supérieur à 1 300 dollars US.
Sur la base de ces décrets successifs, du prix du kilogramme d’or et du taux de change entre le franc CFA et le dollar américain, nous avons estimé ce que l’État burkinabè perd en termes de royalties du fait de la sous-facturation des exportations d’or vers la Suisse et l’Inde.
Ces pertes sont ainsi estimées à plus de 7 milliards de francs CFA en moyenne par année, avec un pic de plus de 13,9 milliards FCFA en 2019, pour un total d’environ 43 milliards de francs CFA sur l’ensemble de la période allant de 2014 à 2019.
Les pertes sur l’Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux et agricoles (IBICA)
L’IBICA, comme son nom l’indique, est un impôt prélevé sur les bénéfices réalisés par les entreprises. Si le Code minier de 2003 fixait le taux de l’IBICA à 35% du bénéfice comptable, celui de 2015 l’a ramené à celui du droit commun, à savoir 27,5%. Les pertes en termes d’IBICA sont estimées sur la base de ces taux en considérant que la valeur de la quantité d’or non déclarée aurait dû être prise en compte dans le calcul des bénéfices imposables des sociétés minières. Ainsi, pour chaque année, nous avons appliqué le taux de l’impôt sur le bénéfice à la valeur non déclarée pour obtenir ce que le fisc aurait dû recouvrer en l’absence de fausses facturations.
Il ressort ainsi que l’État burkinabè a perdu en moyenne plus de 44,2 milliards de francs FCA par an en termes d’IBICA entre 2014 et 2019, du fait des fausses facturations dans l’exportation d’or vers la Suisse et l’Inde, soit un total de plus de 265,5 milliards de francs CFA sur l’ensemble de la période.
Les pertes sur le Fonds minier de développement local (FMDL)
Le Code minier de 2015 a créé plusieurs fonds parmi lesquels le FMDL dont l’objectif est de contribuer au financement des plans régionaux de développement et des plans communaux de développement. Ce Fonds est alimenté par l’État à hauteur de 20% des redevances proportionnelles collectées et par les détenteurs de titres miniers à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires. C’est sur la base de ce taux que nous avons estimé ce que les sociétés minières auraient dû contribuer au FMDL et ce, à partir de l’année 2016. Ces pertes sont ainsi estimées à plus de 2,1 milliards par an en moyenne, pour un total de 8,7 milliards pour la période 2016 à 2019. Des sommes qui auraient pu contribuer fortement au développement des collectivités locales.
Les pertes en recettes budgétaires dues à la sous-facturation des exportations d’or vers la Suisse et l’Inde sont estimées en moyenne à plus de 54 milliards FCFA par an, soit un total de 325,1 milliards FCFA sur la période 2014-2019. Ces pertes n’ont cessé d’augmenter d’année en année depuis 2015, malgré le discours post insurrectionnel du « Plus rien ne sera comme avant ».
Les fausses facturations commerciales engendrent des flux financiers illicites dont les buts poursuivis par les coupables sont de plusieurs natures. Pour le cas spécifique de l’exportation d’or du Burkina Faso, les quantités d’or que les sociétés minières déclarent avoir exportées ne concordent pas du tout avec ce que les pays de destination ont enregistré. De 2014 à 2019, les exportations d’or vers la Suisse et l’Inde ont toujours été sous-déclarées et le gap est estimé à plus de 39 tonnes sur l’ensemble de la période.
Au-delà de la fuite des capitaux que cette pratique engendre, elle occasionne également d’énormes pertes en recettes budgétaires pour le pays. Ainsi, le pays a perdu en moyenne plus de 54 milliards FCFA par an, soit un total de plus de 325 milliards FCFA sur l’ensemble de la période.
Au-delà des pertes budgétaires, la sous-facturation des exportations d’or implique d’importantes sorties de devises du pays. Si ces sommes avaient été injectées dans l’économie pour contribuer au financement d’activités productives ou investies dans les secteurs sociaux de bases, elles auraient permis d’améliorer un tant soit peu le quotidien de bien des Burkinabè.
Même si cette estimation est loin de donner une figure exhaustive des pertes en recettes budgétaires liées à l’ensemble des activités d’extraction minière, elle permet de se rendre compte de l’impérieuse nécessité de redoubler d’effort pour plus de transparence dans la gestion minière au Burkina Faso, en général, et dans les déclarations des quantités d’or exportées par les sociétés minières, en particulier. Elle donne aussi l’occasion d’interpeller le ministère en charge des mines, la Direction générale de Douanes (DGD), la Direction générale des Impôts (DGI) et la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF), afin qu’ils prennent davantage de mesures pour le recouvrement de toutes les recettes fiscales dans les industries extractives.
Centre de Formation et de Recherche Anti-corruption (CFRAC) du REN-LAC
Références
GFI (2018). Nigeria: potential revenue losses associated with trade misinvoicing.
Nitsch, V. (2017). Trade misinvoicing in developing countries. CGD Policy Paper, 103.
Östensson, O. (2018). Misinvoicing in mineral trade: what do we really know? Mineral Economics, 31(1), 77-86.