«La folie se résume à répéter la même chose tout en espérant avoir des résultats différents », disait un sage. Alors, nous nous devons d’avoir un autre regard de nos pratiques, notamment nos habitudes de financement de nos entreprises, particulièrement les entreprises en création, de jeunes et celles des filières impactant notre économie. Il y va de la survie même de notre économie et du devenir de notre Nation. En effet, l’état des lieux des sources, dispositifs, mécanismes et instruments traditionnels de financement de l’économie montre de nos jours leurs limites, tout au moins dans certains secteurs. L’on constate que les investissements dans l’agriculture en Afrique sont les plus faibles au monde, pourtant elle constitue le secteur où plus de 80% de la population est active. « Dans bon nombre de pays africains, les prêts bancaires pour l’agriculture représentent moins de 4% de l’intégralité de leur portefeuille de prêts bancaires. Les banques estiment que l’agriculture est un secteur à haut risque qu’il faut par conséquent éviter. » La majorité des demandeurs de financements bancaires n’ont guère un accès aux dispositifs mis en place, du fait de leurs faibles connaissances financières, de la cherté du coût du financement bancaire, de l’éloignement des institutions de financement (même si la microfinance progressivement tente de combler ce vide), etc. Aussi, le financement de la création d’entreprises et particulièrement des jeunes reste un vœu pieux.
Par ailleurs, les dispositifs et mécanismes de financement des PME à partir de fonds publics sont inefficaces, inadaptés et de peu d’impact. Selon CABRI, « les subventions initiées par les gouvernements sont toujours inefficaces et non appropriées au marché, tandis que celles initiées par le marché et le secteur privé sont toujours plus efficaces. » Il ajoute que « lorsque les régimes de subventions aux engrais relèvent uniquement de l’État, moins de 11 % des agriculteurs ciblés reçoivent des engrais, et les marchés noirs d’engrais aux prix exorbitants, la mise en réserve des produits et la corruption sont endémiques. » De plus, les effets néfastes sur la santé animale et humaine et l’environnement sont catastrophiques. Par contre, il note que « lorsque les subventions sont initiées par le secteur privé et le marché, plus de 94% des agriculteurs ciblés reçoivent les engrais d’une part, et d’autre part, la ponctualité de l’approvisionnement et d’autres efficiences du marché sont constatées. Cette situation se constate par ailleurs au niveau des projets, dédiés aux jeunes et aux femmes, initiés par le gouvernement qui, en plus d’être inefficaces sur la durabilité et en termes de masse critique d’entreprises créées et viables, de création d’emplois décents et d’autonomisation socio-économique des bénéficiaires, s’entremêlent les objectifs et les démarches et font le lit de la corruption, du « bras-long » et du favoritisme.
Enfin, « Les banques agricoles et rurales en Afrique sont structurées de façon traditionnelle et dirigées [et gouvernées] comme des bureaucraties publiques inefficaces, qui les rendent incapables de fonctionner en tant qu’entreprises financièrement et commercialement viables, capables de réaliser une croissance stratégique […} et d’atteindre les objectifs…» pour lesquels elles sont créées. On espère ne pas voir cela à la Banque agricole du Faso (BADF) en cours d’implantation au Burkina.
Tirer les bonnes leçons
Au regard de cet état des lieux, il s’avère que la situation est bien connue, analysée et appréhendée, nous semble-t-il, par les gouvernants. Reste à tirer les bonnes leçons, à tracer une vision cohérente, à définir une politique volontariste et d’y apporter les solutions appropriées, en sortant du paradigme de l’« Etat providence », de la politique politicienne (ne se contentant que de s’accaparer de voix électives pour sa survie égoïste), en reconnaissant le rôle fondamental et structurant aux populations et aux organisations corporatistes dans le développement des filières porteuses et des PME innovantes, à leur pleine, inclusive et durable participation à l’amélioration du bien-être des populations.
Autrement dit, le financement de l’économie, singulièrement de l’entrepreneuriat, peut-il être plus innovant, adapté, stratégique et affecté aux domaines d’investissement essentiels aptes à réaliser un développement inclusif et durable bien plus important que par le passé ?
Nous pensons que cela est bien possible et même très crucial et urgent.
Il existe en Afrique, de nombreux besoins dans des secteurs porteurs et structurants de l’économie (agriculture, écoentrepreneuriat, énergies renouvelables, services numériques, transformation et distribution, services de formation, renforcement de capacités/accompagnement des PME, services liés aux secteurs de l’eau, l’assainissement, l’hygiène et la santé, etc.) qui requièrent des investissements intelligents, surtout que les ressources financières se font rares et insuffisantes. Chaque pays doit adopter des méthodes stratégiques et innovantes pour tirer le meilleur parti des fonds limités disponibles. A cet effet, nous devons entrevoir, avec pragmatisme, le financement alternatif qui peut se développer à travers, entre autres, le financement participatif ou le financement populaire. Ces types de financement sont beaucoup plus autonomes, plus rentables, plus humains pour les demandeurs en privilégiant le respect d’une vie plus digne et, aux offreurs, en leur conférant un sentiment de solidarité, de partage de leur « abondance », parfois « surabondance superflue », mais combien salvatrice en termes de participation citoyenne et de reconnaissance des bienfaits d’autres personnes, à une certaine époque de leur vie.
Mais pourquoi il nous faut résolument nous tourner vers ces alternatives de financement ? Parce que ces mécanismes novateurs de financement portent les « semences » d’un développement plus inclusif et durable, encore faut-il y apporter l’eau d’arrosage nécessaire.
Le financement participatif, encore appelé financement solidaire, en anglais crowdfunding, peut se définir comme un moyen de financement de toutes sortes de projets d’investissement, grâce à une communauté de personnes plus ou moins anonymes, possédant une certaine épargne, fortune ou simplement des ressources financières et ayant les mêmes intérêts que le requérant, à travers une plateforme dédiée, le plus souvent numérisée (Internet, réseaux sociaux). Les raisons de leur volonté de mettre à disposition leurs fonds, qu’elles ne veulent pas « dormantes » mais productives sont, entre autres, d’aider des entrepreneurs, de jeunes créateurs, des artistes, à impulser leurs initiatives de création de valeur, et/ou faire partie d’une communauté de solidarité et d’entraide, etc. Le financement participatif est donc un processus de sollicitation de fonds auprès d’un grand public pour financer des initiatives sociales, économiques, écologiques, innovatrices, entrepreneuriales, etc. L’autre avantage, c’est qu’en plus du financement, il permet une certaine validation de l’idée et/ou du concept de projet, du plan d’affaires du projet d’investissement. Et au promoteur de disposer déjà d’une clientèle potentielle et surtout de bons prescripteurs de son projet et des produits et services dérivés. Aussi, son intérêt réside dans le fait qu’à travers ce type de financement, le porteur de projet d’investissement peut nouer des relations d’affaires pouvant impacter le démarrage et la maturation de son affaire. Et pouvant ainsi constituer un levier stratégique, marketing, technologique, organisationnel, etc. Enfin, le principe du crowdfunding est qu’il n’est pas onéreux, il est moins risqué, car pour la plupart des plateformes, les gestionnaires de plateformes prélèvent un certain pourcentage sur les fonds collectés pour le fonctionnement et la rentabilisation de leurs sites. En plus, l’emprunteur reste le seul propriétaire et le maître de son initiative.
Le crowdfunding a levé 126 millions de $ pour les PME
D’abord développé en Occident, il a rapidement été usité en Afrique. En 2015, le crowdfunding a levé 126 millions de $ pour les PME, les start-up et l’immobilier en Afrique, même si cela ne représente que seulement 4% du financement participatif dans le monde, c’est déjà considérable et il s’est rapidement accru de façon exponentielle, au regard de son succès. Le financement populaire est quant à lui vu sous l’angle d’un financement pour notamment la création de PME d’envergure géographique et financière, à travers un appel à l’actionnariat populaire ou d’acteurs d’un secteur donné. Il milite en faveur d’un autofinancement des initiatives socioéconomiques, d’intérêt national par la mobilisation de ressources internes, par l’épargne intérieure (collectée par les actifs de diverses catégories socio-professionnelles résidents ou de la diaspora), au détriment du financement extérieur et/ou public et fondamentalement « aliénant » et pas toujours lié aux besoins des bénéficiaires et n’ayant pas montré de résultats probants jusque-là. Par exemple, l’on peut passer par ce mécanisme pour la création d’agro-industries en amont et en aval des filières agro-sylvo-pastorales, halieutiques, piscicoles, fauniques, touristiques, etc. D’ailleurs, l’on aurait souhaité que la BADF soit financée par ce canal, en permettant aux exploitants agricoles d’être majoritaires et d’avoir le pouvoir de décision et d’administration de cette banque qui leur est dédiée et devant améliorer l’accès à un financement adapté et de rentabiliser au mieux leurs affaires.
Le financement populaire est un mode de financement qui peut se développer à travers la mobilisation de ressources financières durables et plus importantes, par une corporation donnée de personnes exerçant les mêmes activités (exploitants agricoles, acteurs professionnels de maillons, intra et interprofessionnels de chaînes de valeur de filières, femmes entrepreneures, jeunes entrepreneurs, syndicats, retraités, opérateurs économiques privés, etc.) poursuivant les mêmes objectifs (financement de la création, de la maturation et/ou de la croissance d’entreprises, fonds de garantie, fonds de subvention, fonds vert, capital-risque, assurance agricole, assurance de création d’entreprises, assurance jeunes, actionnariat, prise de participation, etc.) et visant à s’unir pour collecter plus de fonds, en vue du financement de leurs initiatives socioéconomiques, moyennant des conditions souples et adaptées à leurs activités et à leur statut. Son avantage, c’est qu’il est basé sur une solidarité mutuelle d’acteurs évoluant dans le même domaine, avec les mêmes contraintes, et souhaitant, par la force de l’union, de la solidarité et de l’entraide, lever des fonds pour le développement de leurs affaires.
Une alternative crédible
Par exemple, avec ce type de financement, des producteurs et des transformateurs de filières comme le karité, le sésame, le riz local ou l’anacarde peuvent mobiliser suffisamment de ressources financières pour créer une PME (ou un GIE) de transformation et de distribution de produits de leur filière, à grande envergure, pour résoudre leurs difficultés de post-production, mais aussi avec des économies d’échelle, une meilleure maîtrise de la capitalisation (et partant, de leur affaire, en étant majoritaires, propriétaires et acteurs de leur épanouissement et éviter d’être dans les mains « sans état d’âme » d’acteurs privés, publics ou d’investisseurs étrangers ne recherchant d’abord que le profit maximum). Avec ce statut, ils sont à même de discuter, avec plus d’allant et de dignité, avec ces acteurs. Ce mécanisme de financement est tout aussi intéressant pour la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes, femmes et/ou des secteurs comme les énergies renouvelables, les services numériques, la santé, l’éducation et le social. Ce mécanisme de financement peut aussi se déployer par l’intermédiaire de prélèvements financiers (un certain pourcentage) sur les exportations (exemple du sésame, 2e produit agricole d’exportation après le coton au Burkina) ou sur les importations (taxer le riz importé pour appuyer le riz local) pour financer la promotion des filières agricoles nationales. Cela confère plus d’autonomie de financement et de gouvernance des filières nationales par leurs interprofessions et donc permettent d’avoir plus d’impact.
En somme, ce type de financement participatif, sans être une panacée, est une alternative crédible, durable et plus adaptée aux conditions des acteurs actifs du développement dans notre pays. Pour cela, leur responsabilité est engagée, leur pleine participation est requise, au-delà de la nécessaire prise de conscience et d’une réelle volonté politique des décideurs et gouvernants. Les associations et structures consulaires, les institutions d’appui au développement sont aussi interpellées pour agir dans le sens d’un développement plus inclusif, plus humain et durable et respectueux de la dignité de ces catégories d’acteurs économiques.
Alors, osons, par un autre regard et une attitude pragmatique, innover pour donner la chance de créer une réelle émergence de notre pays.
N. Ousmane S. Bodo OUEDRAOGO
Manager FasoInvest
Consultant en développement de chaînes de valeur agricoles,
en entrepreneuriat et en économie verte
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