Face aux résultats jugés non-satisfaisants comparés aux objectifs initiaux de recouvrement au premier trimestre 2018, L’Economiste du Faso a rencontré le directeur général des impôts, Adama Badolo. Voici ses explications !
L’Economiste du Faso : Sur une prévision de 198,945 milliards de FCFA, en fin mars 2018 ; la DGI a mobilisé 158,808 milliards de FCFA pour le budget national, soit un taux de réalisation de 77,31%. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Adama Badolo, directeur général des impôts: Il y a une explication logique à cette situation inhabituelle au niveau de la DGI. Cette contreperformance s’explique par des moins-values enregistrées au niveau de la TVA et des droits d’accises (taxes sur les tabacs et taxes sur les boissons) payés par certains gros contribuables.
Par exemple, au niveau de l’ONATEL, la moins-value est de 5,9 milliards de FCFA qui représentent une TVA déductible qui a été payée à la douane consécutivement au règlement du fameux contentieux concernant les droits et taxes suite à la fusion-absorption de TELMOB par l’ONATEL. Votre journal en a fait écho à l’époque. L’ONATEL a payé cette TVA et, conformément à la procédure, elle doit la déduire de sa TVA à payer.
Il y a également la situation au niveau de la SONABEL où, sur les 3 mois du premier trimestre, la moins-value est estimée à 2,7 milliards de FCFA. La direction générale des douanes a décidé, conformément aux textes en vigueur, de faire payer à la SONABEL la TVA sur l’électricité importée de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Cette TVA payée à la douane est déductible de la TVA payée en régime intérieur.
Nous avons enregistré une baisse de 40% de la TVA payée par Orange Burkina. Selon les responsables de cette entreprise, elle est en phase d’investissements importants pour l’amélioration de son réseau ; d’où une TVA déductible exceptionnellement élevée. Les moins-values sont estimées à environ 1,2 milliard de FCFA.
Au niveau de la MABUCIG, nous estimons les moins-values à 3,6 milliards de FCFA dont plus de 2 milliards de FCFA pour la taxe sur les tabacs et 1,6 milliard de FCFA pour la TVA. Les commerçants ont anticipé sur l’augmentation de la taxe sur les tabacs pour importer des quantités importantes de tabacs au tarif en vigueur avant 2018. D’autre part, les nouveaux prix ne sont rentrés en vigueur qu’en février 2018 du fait de la procédure d’homologation par le ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat.
L’effet de l’application de la nouvelle taxe et de l’anticipation se sont traduits par une baisse sensible des volumes vendus par la MABUCIG (divisés par 2,5) et, par conséquent, de la TVA et de la taxe sur les tabacs (TST) reversées. Les choses semblent rentrer dans l’ordre, puisque pour ce mois d’avril, la taxe a augmenté d’environ 40% par rapport à la moyenne mensuelle d’avant l’augmentation du taux.
La Brakina a aussi enregistré une baisse de ses ventes en ce début d’année ; baisse qui serait liée à des problèmes sur des chaînes de production. La moins-value cumulée en TVA et taxe sur les boissons dépasse 2 milliards de FCFA pour le trimestre sous revue.
C’est dommage que cela arrive en même temps pour plusieurs grandes entreprises. Mais, l’Etat n’a rien perdu ; puisque ces recettes ont été perçues au cordon douanier. Et cela a certainement impacté les recettes de la douane qui est sur une meilleure tendance en ce début d’année par rapport à la DGI.
L’analyse par unité de recouvrement montre que c’est au niveau de la DGE et des deux Guichets uniques du foncier (GUF) de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso que nous avons des difficultés. Je viens d’expliquer la situation au niveau de la DGE. La situation au niveau des GUF n’est pas surprenante. Depuis la limitation du forfait à 10 millions de FCFA, le nombre de dossiers soumis à mutation a chuté de moitié, passant de 2.576 dossiers au 1er trimestre 2016 à 2.110 dossiers au premier trimestre 2017, pour s’établir à seulement 1.299 dossiers au 1er trimestre 2018.
Sur les 19 Unités de recouvrement (UR) de la DGI, plus 13 ont un taux de réalisation de plus de 90%. Les UR qui concentrent les plus gros effectifs ont des taux de réalisation qui dépassent parfois les 100%. C’est le cas à la DRI Centre, à la DRI HB, à la DME Centre II, à la DME HB, etc. C’est la preuve que rien n’a changé : la DGI est dans ses tendances habituelles. S’il n’y avait pas eu ces situations exceptionnelles expliquées plus haut, la DGI serait à un taux de réalisation d’environ 88% et à un accroissement moyen de 12% par rapport à 2017, conformément à nos tendances habituelles.
Quelles sont les mesures prises pour revoir à la hausse les taux de recouvrement ?
Il y a les mesures immédiates pour remonter la pente ; mais aussi des réformes structurelles en cours qui nous permettront de renforcer durablement nos performances.
Dans l’immédiat, il y a le recouvrement des Restes à recouvrer pour lequel nous avons mis en place un comité de suivi présidé par la directrice générale adjointe, et qui réunit régulièrement les receveurs. Nous avons instruit nos collaborateurs de systématiser les actions en recouvrement, y compris le recouvrement forcé. Les impôts éludés seront recouvrés de façon encore plus offensive. Nous serons très regardants concernant les déclarations sans paiement, la surveillance des obligations déclaratives.
Tous ceux qui ont un impôt à déclarer doivent le faire à bonne date, sinon nos équipes devront le retrouver, y compris par la contrainte.
Les actions de lutte contre la fraude et le faux, grâce à l’opérationnalisation de la DERF et à la mise en œuvre de la facture normalisée, ont commencé à porter leurs fruits. Nous allons poursuivre et intensifier ces actions.
De façon générale, nous allons mobiliser les travailleurs des impôts autour de nos missions d’assiette, de contrôle et de recouvrement. Les agents seront davantage sur le terrain. C’est ce qui nous permettra de remonter la pente. Même si l’impôt est portable et non quérable au Burkina, il faut très souvent aller le chercher.
Par ailleurs, nous avons plusieurs réformes en cours qui permettront de rendre la DGI beaucoup plus performante sur la durée. Je rappelle l’adoption en décembre 2017 du Code général des impôts dont les effets bénéfiques sont à venir.
Nous avons également une révision de l’Identification financière unique (IFU) qui est en cours, ainsi qu’un programme de recensement fiscal dans les deux grandes villes de Ouaga et Bobo-Dioulasso qui vont nous permettre d’élargir l’assiette fiscale.
Mais, l’année 2018 est placée sous le signe de la digitalisation de notre administration qui a commencé avec la télédéclaration et le télépaiement prévu pour le 1er juillet 2018. D’ici à la fin de l’année 2018, tous les contribuables burkinabè pourront déclarer et payer leurs impôts sans se déplacer à la DGI. Ainsi, les agents de la DGI pourront se consacrer à l’essentiel, aux tâches à valeur ajoutée de recherches, de taxation des défaillances, de contrôles, de recouvrement, etc. Les grandes et moyennes entreprises paient plus de 90% des impôts et taxes recouvrés par la DGI. A terme, toutes ces entreprises paieront leurs impôts en ligne.
Pour les budgets des collectivités, le recouvrement affiche un taux de 119,88%. Quelles sont les raisons de cette performance ?
Cela confirme ce que nous avons dit plus haut concernant les performances au niveau du budget de l’Etat. Les impôts directs locaux n’ont pas été touchés par les moins-values. De même, les impôts directs d’Etat comme l’IUTS, l’IS, la TPA, le BIC, etc. sont en progression par rapport à 2017.
C’est vraiment la situation au niveau de la TVA et des droits d’accises qui explique cette contreperformance de la DGI.
C’est donc pour moi l’occasion de rassurer l’opinion nationale que le travail se poursuit à la DGI, que nous sommes dans nos tendances habituelles et que des réformes ambitieuses sont en cours pour faire de la DGI une administration fiscale moderne et performante.
Je saisis l’occasion pour lancer un appel à plus de civisme fiscal et inviter tous ceux qui, sous prétexte qu’ils sont contre les fonds communs, appellent les contribuables à ne pas payer leurs impôts d’arrêter immédiatement leur campagne anti-impôt. C’est une attitude irresponsable, parce que l’argent de l’impôt n’appartient pas aux agents du MINEFID, mais au peuple burkinabè. Je considère que quelle que soit la situation, appeler au non-paiement des impôts n’est ni plus ni moins qu’un acte de haute trahison. On ne peut pas aimer son pays et demander cela. Ils sont dans leur droit d’être contre les fonds communs, mais il y a d’autres manières de le faire savoir.
Propos recueillis par La Rédaction