En 2015, l’économie subsaharienne devrait encore enregistrer de bons résultats et connaître une croissance soutenue de l’ordre de 4,5%. L’analyse est du Fonds monétaire international (Fmi) qui publiait fin avril le dernier numéro de «Perspectives de l’économie africaine». Cette année, l’institution financière a choisi Accra, Yaoundé et Ouagadougou pour faire le lancement du rapport.
Roger Nord, le directeur adjoint du département Afrique du Fmi, et Céline Allard, la responsable des études du même département, étaient à Ouaga à cet effet. Des explications fournies par M. Nord, le point focal du rapport concerne les chutes des cours du pétrole qui impactent durement les huit pays producteurs de la région. «Les taux de croissance seront nettement en baisse d’environ 2 à 2,5% par rapport à nos prévisions d’il y a six mois où le Fmi faisait des estimations de l’ordre de 7%», souligne le Fmi.
A la chute des cours du pétrole s’ajoutent celles d’autres matières premières, à savoir le minerai de fer, de charbon et le coton. «Une vue d’ensemble des taux de croissance en 2015 montre qu’ils sont soutenus, mais moins élevés qu’ils ne l’étaient ces dernières années où nous avons connu des taux pour certains pays se situant entre 5 et 6%», indique le directeur adjoint du département Afrique du Fmi.
Les conséquences de la chute des cours pour les pays producteurs de pétrole se traduisent par un choc important qui risque d’être quasi-permanent, « parce qu’on ne va pas revoir les prix repartir à la hausse de sitôt», préviennent les fonctionnaires du Fmi. Il faut s’y ajuster, préconisent les auteurs du rapport. Cela pourrait se faire par plusieurs voies dont celle budgétaire qui est inévitable.
«La plupart des pays le font déjà, mais nous pensons que dans certains pays, l’ajustement devra aller encore plus loin. Les amortisseurs sont à trouver du côté de la politique monétaire, avec le taux de change qui peut aider des pays comme le Nigeria, premier pays producteur de pétrole, par exemple par une nette dépréciation de la monnaie», explique Roger Nord.
Pour les experts du Fmi, au-delà du choc des prix, il y a d’autres éléments de risques présents. Ils sont de nature nationale et liés à l’endettement, au déficit budgétaire.
Dans la zone Cedeao, on cite le Ghana où le déficit budgétaire a amené à un cas d’endettement rapide et à un besoin d’ajustement. Le Fmi pense aussi à l’environnement international avec l’incertitude en ce qui concerne les conditions financières des marchés internationaux. Un resserrement de la politique monétaire aux Etats-Unis se profile à l’horizon.
Cela a amené ces derniers mois à une certaine volatilité des conditions des marchés financiers, affirme Roger Nord, pour qui les pays exposés à ces marchés comme la Côte d’Ivoire, Ghana, le Nigeria, Sénégal, courent un risque. Même si pour ces pays la diversification des sources de financement est une bonne chose, il y a un risque lié au recours aux marchés financiers qui peuvent devenir plus chers.
Les risques sécuritaires ne sont pas occultés par le rapport. Ils restent considérables dans le Sahel, notamment au Mali, à la frontière entre le Nigeria, le Tchad et le Cameroun où Boko Haram sévit et en Afrique de l’Est menacée par les djihadistes somaliens, les Shebabs.
Tout cela amène de l’incertitude et contraint les investisseurs à l’attentisme par rapport à ces pays qui font face à des dépenses supplémentaires pour la sécurité, avec des enveloppes budgétaires qui auraient pu aller vers d’autres investissements infrastructurels et sociaux.
L’épidémie d’Ebola aussi ajoute son lot d’impacts sur la croissance de la région.
Les conséquences économiques et sociales demeureront sévères cette année, estime le Fmi qui a revu à la baisse les estimations de croissance pour les trois pays concernés (Guinée, Liberia, Sierra-Leone), avec un net repli de l’activité économique parce que les conséquences sur d’autres domaines sont notables. Dans les mines de fer, les investisseurs se sont retirés, l’activité économique a pris un énorme choc, malgré les appuis directs apportés par le Fmi et les partenaires internationaux. Mais de l’aperçu général, le département Afrique du Fmi reste optimiste dans le potentiel à moyen terme de la région, qui devrait, selon les analystes du Fonds, prioriser la diversification économique si elle veut voir se poursuivre une croissance économique vigoureuse, diversifiée et durable.
Christian KONE
Profiter du dividende démographique
Un chiffre clé : en 2035, le nombre de personnes qui entreront dans la vie active en Afrique subsaharienne sera supérieur au nombre des personnes dans la vie active dans l’ensemble du reste du monde. Ce phénomène massif aura des conséquences à la fois pour la région, mais aussi pour l’économie mondiale. Pour Céline Allard, chef de division des études régionales département Afrique, la transition démographique va se décliner en termes de défis et d’opportunités.
De son analyse, c’est une source d’opportunités extraordinaires pour augmenter les revenus et améliorer les conditions de vie dans la région, «mais si la croissance n’est pas au rendez-vous, c’est potentiellement un désastre social pour une génération qui n’arrivera pas à trouver du travail», commente l’experte du Fmi. Tirant leçons des expériences de l’Asie du Sud-Est qui a su mieux profiter que l’Amérique latine, le Fmi recommande que la région crée des emplois à un rythme extrêmement rapide pendant une période prolongée.
Pour absorber la main, il faudrait environ 18 millions d’emplois par an d’ici vingt ans (2035). Pour cela, « il y a un besoin d’investir dans l’éducation dès aujourd’hui, faire en sorte qu’ils aient les connaissances et les qualifications nécessaires et que le secteur privé soit en position de leur fournir de l’emploi, en dehors du secteur agricole », poursuit Céline Allard. Les efforts des pouvoirs publics devraient tendre à encourager le développement du secteur privé, en comblant le déficit d’infrastructures et de capital humain. Cela aidera à remédier aux rigidités du marché du travail et à favoriser le développement des liens commerciaux.